L’enseignant, en formation professionnelle, accède à l’enseignement par son expertise disciplinaire et ses aptitudes anticipées de pédagogue. L’expertise professionnelle de l’enseignant est acquise généralement dans le marché du travail, sur le tas, d’une manière empirique et implicite. Cela a pour conséquence de conduire l’enseignant à élaborer, trop souvent, des situations d’apprentissage tout aussi empiriques à partir d’une pédagogie spontanée, issues de cette seule expertise. Il est réaliste, à partir de ce constat, d’appréhender des problématiques d’apprentissage, chez les apprenants, lors de l’encodage des concepts. La recherche action a inspiré l’utilisation d’une démarche systémique, que j’appelle le « Groupe SU.P.OR. ». Celle-ci est utilisée pour amener des experts, dans une discipline, à formaliser et à expliciter entre eux des modèles génériques de leur fonction de travail. L’utilisation de ces modèles par l’enseignant, dans ses stratégies didactiques, permettra aux apprenants de se représenter, d’une manière univoque, les concepts nécessaires à la construction des savoirs associés au développement de la compétence professionnelle.
Le modèle d’action (Fig. : 1) a pour but d’être une référence de la façon de faire des rencontres de perfectionnement et de production en didactique pour et par les enseignants. Chacune de ses étapes et de ses activités a été élaborée à la suite des observations que j’ai faites dans l’action à partir de groupes de travail dont l’objet était de résoudre des problèmes d’apprentissage.
Le modèle d’actions et le groupe de travail qui le mettra en œuvre, font partie de mes objectifs de vouloir créer des conditions et un milieu qui faciliteront la formalisation des façons de faire des enseignants, le perfectionnement entre pairs dont le résultat concret consistera dans la conception, la construction et l’expérimentation de moyens et de stratégies en didactique plus efficaces.
Le groupe de travail, que j’ai appelé groupe SU.P.OR. pour suivi pédagogique organisé, et les éléments du modèle d’action ont été induit des façons de faire de six années de travail avec des enseignants de la formation professionnelle dans la production de moyens didactiques. Ces groupes de travail avaient pour but d’amener des enseignants à mettre en commun leurs expériences pour identifier des problèmes en pédagogie et ensemble, à l’aide de leurs expertises, produire des moyens didactiques permettant de résoudre ces problèmes.
Avec le groupe SUPOR, j’ai concrétisé l’idée d’amener les enseignants à se perfectionner, à confronter et à perfectionner leurs expertises tout en développant leur compétence en didactique en construisant des modèles didactiques. Avec le modèle d’action j’ai explicité et formalisé ce qui se passait dans les groupes pour en faire une démarche plus régulière permettant ainsi d’en organiser le processus et prédire les effets. Je conçois le modèle dans le sens de Barth (1999), c’est-à-dire pour qu’il puisse permettre la mise en œuvre d’un processus mental, de le concrétiser et de le rendre observable.
Parce qu’ils auront participé à la conception du modèle didactique jusqu’à sa mise à l’essai, celui-ci sera plus signifiant et plus utile pour agir et pour réagir sur les situations d’apprentissage, pour les améliorer ou les rejeter.
Les enseignants du groupe SU.P.OR. ont besoin de l’aide d’un accompagnateur qui se préoccupera de guider les participants dans le processus du modèle d,action et dans la construction des représentations des enseignants participants. Le rôle de l’accompagnateur est perçu dans le sens de Vidal qui définit les qualifications de l’accompagnateur :
« L’accompagnateur doit savoir modeliser les façons de penser et de raisonner dans un domaine de connaissance car celle-ci le constituent tout autant que son contenu ».
(Vidal, 1991)
L’accompagnateur est un expert de la formation professionnelle, du modèle d’action du groupe SUPOR ainsi qu’en didactique. Il a pour fonction de guider les enseignants dans la démarche de résolution de problèmes en les aidant à structurer et à produire les solutions en élaborant des représentations à partir des explications qui lui sont présentées.
Le problème du développement de la compétence en didactique des enseignants de la formation professionnelle est complexe. Il faut prendre en considération, entre autres, les composantes de l’analyse anthropopédagogique (Morin, 1992), la formation des enseignants, leurs spécialités disciplinaires, les programmes par compétences, l’instabilité des objets d’apprentissage, leur formation sur le tas, etc. Le groupe SUPOR facilite la prise en compte de ces composantes et joue ainsi le rôle de contexte tandis que le modèle d’action agit comme processus faisant corps de manière indissociable avec le contexte. Le contexte fait évoluer le modèle et le modèle fait évoluer le contexte. Ceci représente bien ce que Morin explique comme étant une construction herméneutique dans sa recherche-action intégrale systémique.
« L’herméneutique est un processus qui inscrit tout phénomène réfléchi dans un contexte afin de l’interpréter en tant qu’événement de manière à éclairer chaque instant et chaque élément ou concept qui le constituent. »
(Morin,A. 1992 dans Legendre, 1993)
Le modèle d’action du groupe SU.P.OR. couvre l’ensemble du processus de résolution de problème en didactique, de l’explicitation de la situation problème, la contextualisation dans la situation d’apprentissage, la construction de l’hypothèse de solution, la production du moyen didactique concrétisant la solution et l’application pour la mise à l’essai dans le contexte d’apprentissage. Le rôle essentiel de la recherche action a été exploité à la première étape.
L’étape d’explicitation (Fig. :2) représente un moment critique dans le processus de résolution de problème. Généralement la didactique est surtout utilisé comme moyen thérapeutique à des problèmes d’apprentissage qu’un enseignant peut rencontrer avec ses étudiants.
Les enseignants travaillent rarement à construire des représentations, à organiser les savoirs préalables, à élaborer des façons de faire, à définir le champ des concepts, de manière consensuelle. Chacun travaille pour soi, ce sera à l’étudiant à faire le décodage, entre les explications hétéroclites des enseignants. À plusieurs reprises les enseignants participants ont constaté qu’un bon nombre de problèmes d’apprentissage des étudiants étaient dû à la confusion dans l’organisation des savoirs chez l’enseignant et entre les enseignants.
La situation délicate où il faut amener les enseignants à se rendre compte de cette problématique fait en sorte que le processus d’herméneutique est une avenue prudente pour faire cheminer les enseignants dans le cadre de la recherche action pour trouver une solution à leur problème. Les enseignants, dans le groupe SU.P.OR., doivent exprimer leur perception d’une problématique d’apprentissage qu’il vive ou que leurs étudiants vivent. Chacun présente son point de vue, chaque enseignant explique sa réalité dans sa démarche pédagogique. C’est à partir des discussions communes, de l’effort de compréhension du discours de l’autre et de l’appréhension de la problématique que se construit l’idée de solution. Cette dynamique est au coeur du processus construction des moyens en didactique et constitue l’effet de l’application du modèle d’action. C’est la formalisation des représentations des composantes du problème qu’ils réalisent une construction collective qui les amèneront à développer leur compétence en didactique. La démarche de résolution des problèmes en didactique débute en apprenant à poser le problème. Cette activité formative ne manque pas d’inspirer les participants dans l’organisation futur de leur stratégie d’enseignement.
J’ai constaté, en analysant le travail réalisé avec les enseignants, qu’il est très difficile de développer la compétence professionnelle de l’apprenant sans d’abord développer celle de l’enseignant en didactique. Mes travaux m ‘ont amené à constater que l’enseignant doit être en mesure d’expliciter et de formaliser les éléments de sa propre compétence comme pédagogue et spécialiste de sa discipline pour être en mesure d’amener l’apprenant à développer la sienne.
Le groupe SU.P.OR. et son modèle d’action prennent en considération que le développement de la compétence de l’enseignant doit se faire en amenant celui-ci à résoudre lui-même les problèmes d’apprentissage générés dans le processus de développement des compétences de l’apprenant : apprendre à résoudre les problèmes engendrés par l’implantation de l’approche par compétences pour pouvoir apprendre à développer ses propres compétences en didactique.
Pour Piaget (1979), l’élève est un expérimentateur-né qui appréhende la réalité en l’expérimentant. De la même manière, nous désirons que l’enseignant observe et expérimente à partir de ses stratégies didactiques et de leurs impacts sur les apprentissages de l’étudiant.
En utilisant le vécu de l’enseignant comme déclencheur de la démarche, cela lui permet d’arrimer plus facilement sa nouvelle expertise en didactique avec ses pratiques antérieures. Le sens de ses travaux lié à sa réalité lui fournira des repères pour expérimenter les nouvelles pratiques qui se développeront ainsi dans l’action, avec les apprenants, au lieu de simplement apprendre les théories dans un cours.
Cette façon de partir des stratégies implicites de l’enseignant de manière à les rendre explicites est cohérente avec les fonctions de travail en formation professionnelle. La technologie et les techniques sont la conséquence d’un processus de formalisation par l’ingénierie. Le groupe SUPOR propose ici une ingénierie didactique qui explore l’objet d’apprentissage à partir duquel il construira des situations didactiques.
En amenant les enseignants à ne pas se contenter d’exploiter que les résultats de cette ingénierie didactique, on favorise un processus d’appropriation de cette démarche d’ingénierie. Ce processus se caractérise entre autres par les échanges entre pairs, l’analyse de la performance des situations didactiques, la construction des moyens didactiques et la mise en œuvre de stratégies d’apprentissage. On enrichira ainsi l’objet d’apprentissage, par un moyen didactique explicitant la relation entre le comportement professionnel à apprendre et l’apprenant.
L’effet premier du résultat des travaux d’un groupe SUPOR pour les enseignants devrait être le sentiment nouveau d’avoir de l’emprise sur leur programme ainsi que sur des problèmes récurrents et parfois réputés insolubles.
Le groupe SUPOR se veut une composante efficiente, signifiante et efficace de la formation continue des enseignants de la formation professionnelle par une approche concrète du développement de leur compétence en didactique professionnelle.
Le rationnel sous-jacent aux avantages d’un groupe SUPOR est dû au fait que la compétence de chaque enseignant est mobilisée autour d’un problème commun et signifiant. Parce que chacun est mis à contribution de manière explicite, cela devrait faire apparaître un processus de régulation amenant une expertise collective plus grande. Cette expertise validée et construite collectivement devrait être une source de référence crédible, accessible et signifiante pour chacun et favoriser ainsi le développement d’une compétence individuelle en didactique.
Le groupe SU.P.OR., tout en tenant compte des facteurs propres à la formation professionnelle, a fait en sorte, en partant de l’expertise disciplinaire et pédagogique de l’enseignant, d’exploiter la compétence même de l’enseignant. Celui-ci devient le maître d’oeuvre de la transposition de son expertise professionnelle à laquelle il va ajouter l’expertise professionnelle du groupe SU.P.OR. Cette mise en commun coopérative des expertises est induite par la dynamique du groupe et va s’orienter maintenant vers le développement de la compétence professionnelle
Le groupe SUPOR, de manière implicite puis, de plus en plus explicite, accompagne, guide, explique, formalise, construit, applique et transfert les savoirs vers un capital savoir qui deviendra un capital de connaissances nécessaires à l’apprenant pour pouvoir manifester sa compétence professionnelle. Ces actions sont les fondements d’une stratégie amenant au développement de la compétence d’une didactique professionnelle en lien avec la fonction de travail. L’enseignant, en développant ainsi sa compétence en didactique professionnelle, formalise mieux le processus technique et est ainsi plus en mesure de le transposer dans ses stratégies d’enseignement. C’est en exploitant son expertise professionnelle dans le cadre des groupes SUPOR que l’on favorise la rencontre de l’enseignant avec l’apprenant avec la transposition d’un objet technique en un objet d’apprentissage.
La conception d’un modèle de formation en didactique pour les enseignants du secteur professionnel m’a amenés à percevoir différemment l’appropriation de l’objet d’apprentissage, l’apprenant et la relation d’apprentissage qui les relie. J’ai alors utilisé, dans l’action avec les enseignants, des instruments d’explicitation tels ; l’arbre des concepts, le glossaire terminologique, les procédures de travail, les tâches professionnelles, la situation de travail ainsi que le processus de travail pour faire face à ce changement à trois niveaux: apprenants, enseignants, chercheurs.
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