On pense souvent, à tort, que de donner une formation consiste uniquement à communiquer de l’information. Legendre (1993) définit la formation, en formation professionnelle, comme «l’ensemble des activités, des situations pédagogiques et des moyens didactiques ayant comme objectif de favoriser l’acquisition ou le développement de savoirs (connaissances, habiletés, attitudes) en vue de l’exercice d’une tâche ou d’un emploi.»

La transmission d’informations à l’aide d’un «PowerPoint» ou de tout autre instrument technologique ne constitue par un acte de formation, même si cette pratique est très répandue. La théorie à l’origine de cette pratique est très ancienne et se situe dans les origines des pratiques de formation à une époque où les livres et le papier étaient très rares et dont l’objectif était de faire mémoriser l’information. Cette pratique de formation s’apparente aux théories de l’apprentissage de type « Académique» et «Technologique».

Ce qui motive l’utilisation d’une théorie de l’apprentissage plutôt qu’une autre est identifié à partir des attentes de la formation.

Une autre raison qui ne milite pas en faveur d’un modèle de formation traditionnel basé sur la transmission de connaissance en formation professionnelle, c’est l’efficacité de cette approche dont la finalité est la mémorisation de l’information. Sousa démontre bien, à partir d’une analyse du National Training Laboratory of Besthel (1960), le niveau d’efficacité d’une méthode d’enseignement, 24 heures après la formation.

La discussion de groupe, les exercices pratiques et l’utilisation de ses apprentissages pour expliquer aux autres ont un taux de rendement qui est nettement plus souhaitable à exploiter que la conférence, les lectures, l’audiovisuel et la démonstration.

Comme pédagogue, expérimentateur et chercheur dans le domaine du développement de la compétence, je me suis questionné sur ce qu’est une compétence dans la réalité de la classe, par rapport à la relation d’apprentissage, à la relation didactique et à la relation d’enseignement à l’intérieur d’une situation pédagogique. À la suite de ce questionnement, j’ai travaillé avec des enseignants afin d’essayer de construire, dans l’action, les premiers jalons des composantes d’une didactique fonctionnelle du développement de la compétence professionnelle. L’évolution de mes travaux m’a permis d’élaborer un modèle du concept de la compétence professionnelle ainsi qu’une représentation schématique de ce concept.

La compétence professionnelle devient l’association des quatre composantes que j’ai pu observer, soit dans les programmes ou la réalité, c’est-à-dire le savoir, le savoir-faire, le savoir-être et le contexte signifiant.

La compétence de l’apprenant se trouve à l’intersection du savoir, du savoir-être et du savoir-faire placés dans un même contexte signifiant. La superposition des savoirs a produit trois autres intersections qui, selon mes observations, correspondent à l’apprenant connaissant, performant et exécutant. J’entends par apprenant « performant » qu’il a atteint les objectifs du programme, sans nécessairement avoir intégré le savoir-être du métier. L’apprenant exécutant réalise bien les actes professionnels qu’on lui demande d’accomplir, sans nécessairement avoir construit le savoir qui est lié à ces actes. L’apprenant connaissant est en mesure de bien expliquer les éléments du contexte professionnel, sans nécessairement maîtriser le savoir-faire. Par contre, un apprenant compétent devrait être en mesure, d’expliciter le contexte professionnel, de formaliser et d’adapter, selon le cas, les procédures de travail et d’accomplir les tâches, conformément aux attentes professionnelles exigées par les circonstances.

Le développement de la compétence devient alors davantage une question de processus que de produits, de contextes que d’objets spécifiques, de relations que de comportements. J’ai également dû remettre en question mes conceptions sur la réussite. En formation professionnelle, il n’est pas suffisant qu’un apprenant réussisse les examens pour déclarer qu’il est compétent.

Mes travaux avec les enseignants me portent à croire qu’il est possible d’exercer une influence sur le développement des compétences, dans la mesure où nous pouvons placer l’apprenant dans une conjoncture où sont réunis un contexte signifiant, les attitudes requises (le savoir-être), les façons de procéder (le savoir-faire) et les connaissances (le savoir) utiles. Cette situation, que l’on peut qualifier de situation didactique en formation professionnelle, permet à l’apprenant de réaliser des tâches le conduisant à faire face à des problèmes professionnels qu’il aura le goût de résoudre et dont la solution sera intimement liée aux visées de la formation.

Ces tâches problèmes représentent la base du développement des situations didactiques qui favorisent le développement des compétences chez l’apprenant. Dans ce contexte, les connaissances préalables et les comportements professionnels deviennent des outils essentiels à la résolution de problèmes. Ces nouvelles approches abordent l’apprentissage par le processus de la résolution du problème et du jugement critique, plutôt que par des réponses à des questions que l’apprenant ne se pose pas.

Une compétence professionnelle sur le marché du travail, demande la mise en oeuvre de connaissances construites, de capacités explicites et formelles, d’attitudes personnelles ainsi que d’habiletés intellectuelles et motrices qui sont liées aux aptitudes de l’apprenant et dont les propriétés sont surtout propres au contexte où l’on en observe la présence.

Le concept de compétence est souvent perçu comme un concept flou et abstrait où on peut y associer environ n’importe quoi. Pour rendre ce concept plus pragmatique, je me baserai sur les cinq caractéristiques de la compétence professionnelle de Oiry (2003).

  • Elle est en rupture avec le poste de travail : L’accent est mis sur la personne. Le poste de travail n’apparaît plus comme un concept pertinent pour organiser le travail.
  • Elle est individuelle : La compétence est celle d’un individu (et non la qualification d’un emploi). (Zarifian, 1999, p.68)
  • Elle prend en compte le savoir-être : À l’inverse du poste de travail, «la compétence est plus large que le seul savoir ou savoir-faire». Elle mobilise «l’intelligence» et «l’initiative». (Zarifian, 1999, p.15)
  • Elle est contextualisée : Finalisée, la compétence ne peut être définie que dans une situation précise. Il n’existe pas de compétence détachée de l’action.
  • Elle est dynamique : Les différents éléments de la compétence se développent dans une confrontation à l’action. Celle-ci est donc en permanence adaptée au contexte dans lequel vit l’individu qui la possède.

Je retiendrai de ces caractéristiques qu’une formation devrait placer l’apprenant au centre d’un environnement, qu’elle devrait être organisée de telle sorte qu’elle puisse s’adresser à chaque apprenant; que la manifestation de comportements professionnels associés à des attitudes comme la résolution de problèmes et le jugement critique soient au coeur des activités de l’apprenant; que les situations de travail soient le déclencheur des apprentissages et que la confrontation des idées entre les apprenants, à partir de décisions professionnelles, constitue l’aboutissement des activités de la formation.

La formation sur le tas est généralement associée à la réussite, par un apprenti, d’une activité professionnelle selon un niveau de performance correspondant à la compétence attendue. Cette réussite se fait souvent au détriment des savoirs, dans un contexte où le sens et la pertinence des objets de formation sont déterminés par l’action. Ces savoirs sont pourtant nécessaires à la compréhension, à la conscience et par conséquent au jugement des apprenants dont l’absence est souvent remarquée, en santé et sécurité au travail, entre autres.

Les savoirs sont souvent associés à l’école, c’est-à-dire au centre de formation ou au collège. On associe ces milieux, à tort ou à raison, au mandat de faire acquérir des connaissances et/ou des habiletés. Ces savoirs se retrouvent compétence après compétence dans un programme permettant au formateur de les organiser de telle sorte que l’apprenant puisse réussir ses examens et avoir sa reconnaissance qui déterminera sa compétence. Souvent, les examens permettent de constater chez l’apprenant sa capacité à «régurgiter» de l’information et sa capacité à exécuter des actions, mais est-ce bien cela le résultat de l’apprentissage en lien avec le développement d’une compétence? Le processus d’apprentissage est pourtant nécessaire à la compréhension, à la conscience et par conséquent au jugement des apprenants.

Que ce soit en entreprise ou en centre de formation, le concept de compétence doit faire l’objet d’une représentation commune. Leplat (1991) nous souligne l’existence de la compétence comme étant l’élément sous-jacent à toute action qui permet d’expliquer comment les connaissances peuvent se transformer en actions appropriées. Elle désigne donc le système de connaissances qui permettra d’engendrer l’activité répondant aux exigences d’une certaine classe de situations.

À partir du moment où nous pouvons comprendre de manière univoque le concept de compétence nous pouvons travailler pour en établir les niveaux. La complémentarité du milieu de formation et du milieu de travail se retrouve dans le niveau de compétence à développer chez l’apprenant et/ou l’apprenti. Le Boterf (2006), nous indique que l’organisation du travail détermine fortement la compétence qui peut être construite par les individus. Certes, la compétence peut s’exprimer en terme d’action avec ses contraintes et ses livrables elle s’exprime aussi selon les attentes de l’évaluateur de la personne qui réalisera l’action.

La compétence professionnelle s’adresse à une personne qui organise son travail dans un contexte dynamique qui la fait évoluer. La compétence professionnelle d’une personne est un continuum qui se développe tout au long de sa vie professionnelle. Si elle se développe, elle atteint donc différents niveaux que Oiry souligne en identifiant que certains milieux y associent même une valorisation monétaire par la compétence rémunérée.

Lors de l’embauche, les entreprises spécifieront les compétences requises par une ou des tâches plus ou moins complexes à réaliser selon la quantité de contingences à gérer et par conséquent de décisions à prendre, insistant ainsi sur l’importance de la manifestation plus ou moins critique du jugement du candidat. Plus il y aura de situations éventuelles, d’événements imprévisibles ou de circonstances fortuites, plus le poste exigera un niveau de compétence élevé.

Vous trouverez à la figure suivante, une représentation qui explicite chacun des niveaux de compétence. Avec ce tableau, il est plus facile de repérer les attentes pour les activités professionnelles. Même si certains niveaux ne s’appliquent pas pour certaines professions, cela n’empêche pas une personne d’avoir le désir de toujours développer sa compétence et une autre d’être compétente dans ce qu’elle fait, sans aspirer à une compétence plus grande que celle requise par la profession.

Bref, nous pouvons constater qu’une compétence professionnelle se manifeste dans l’action; que cette action, lorsqu’elle est de niveau maîtrise et supérieure, demande de prendre des décisions conscientes et intentionnelles; qu’une action constituée d’éléments incertains demande d’utiliser son jugement; que pour avoir du jugement, il faut qu’une personne puisse comprendre ce qui se passe; que pour comprendre, il faut pouvoir faire l’analyse des différents aspects d’une situation; que pour faire l’analyse, il faut disposer de connaissances qui ont du sens.

Faisant suite à ce raisonnement, nous pourrions attribuer à un milieu de formation une fonction minimale qui est de faire apprendre, c’est-à-dire avoir un mandat de transformer les savoirs en connaissances chez l’apprenant, non dans le but de les faire mémoriser, mais de développer le jugement de ses apprenants.

Pour ajouter à notre réflexion sur les dispositifs de formation et le type de formation à mettre en place il est important de parler des niveaux taxonomiques. La taxonomie est une science qui a pour objet la classification des divers éléments d’un domaine. Cette classification est ici faite du simple au complexe en se basant sur l’aspect concret d’un savoir, savoir-faire et savoir-être au niveau abstrait. Plus le niveau taxonomique est élevé plus le dispositif et la stratégie de formation sera complexe. Par exemple niveau le plus bas est associé à une formation sur le tas, tandis que le niveau le plus élevé touche le changement d’un individu non seulement dans ce qu’il sait et sait faire, mais dans ce qu’il est dans sa personnalité.

Il est possible d’identifier d’autres caractéristiques d’une formation favorisant le développement de la compétence professionnelle. Vous retrouverez à la figure suivante une liste non exhaustive de ces caractéristiques.

De manière encore plus explicite, nous pouvons identifier des comportements qui peuvent manifester l’atteinte de l’un ou l’autre niveau de compétence. La figure suivante vous présente ces comportements à faire manifester pour avoir une indication de l’atteinte du niveau désiré. Les verbes d’action associés au comportement sont classés à l’aide des taxonomies présentées précédemment.

Ces manifestations doivent être considérées dans la stratégie de formation pour être en mesure de prétendre avoir développé la compétence des apprenants. C’est le cas également pour l’élévation du niveau de compétence selon le seuil nécessaire aux responsabilités du travailleur pour qu’il puisse travailler en toute sécurité, si nous parlons de santé et de sécurité au travail.