Je suis loin de me prendre pour Descartes, mais il semblerait qu’il y ait une quête sans fin, en éducation, dans la recherche d’une méthode d’enseignement idéale. Cette quête consiste à chercher une façon miracle d’enseigner qui fait en sorte que les élèves vont comprendre, comme par magie, tout ce que l’enseignant va leur dire ou leur faire réaliser. Malheureusement ou heureusement, faire apprendre n’est pas la conséquence de la magie, mais plutôt d’une démarche consciente basée sur la science. Cette démarche repose sur la gestion des contraintes à l’apprentissage associées à l’enseignant, au contexte de formation, à l’objet à faire apprendre et aux apprenants. Contrairement à ce que je viens d’indiquer la plupart du temps, le choix d’une méthode repose plutôt sur l’intention de faciliter l’enseignement ou son organisation. J’espère rien vous apprendre en spécifiant qu’enseigner ne signifie pas nécessairement, faire apprendre.
La réussite d’un apprenant ne peut reposer sur le hasard. J’ai déjà entendu, venant d’enseignants, « on essaye des choses, on fait notre possible et on espère qu’ils vont apprendre s’ils sont motivés, qu’ils étudient et qu’ils écoutent ».
Ma conception de l’acte d’apprendre repose sur quatre conditions. Premièrement, la conscience de l’apprenant de ce qu’il va apprendre. Deuxièmement, l’autonomie de l’apprenant dans l’acte d’apprendre. Troisièmement, l’adhésion de l’apprenant à l’objet à apprendre. Quatrièmement, l’interaction entre les apprenants dans un contexte de travail signifiant. Faire apprendre, en conséquence, va au-delà de la simple transmission par le prof d’un savoir qu’il dit et de l’acquisition, par l’apprenant écoutant, passif et docile, de ce savoir.
Le mieux de cette façon de faire traditionnelle, ici l’on parle de l’enseignement magistral, est la mémorisation de l’information, mais mémoriser n’est pas apprendre. Certains diront que c’est dans la pratique que l’élève va comprendre. Le prof fait alors des démonstrations pour montrer comment faire et entraîne l’élève à le faire et à atteindre le résultat attendu pour réussir l’examen, mais faire faire et réussir ne veut pas dire comprendre. Comme le souligne Piaget (1974) « Comprendre consiste à dégager la raison des choses; réussir ne revient qu’à les utiliser avec succès ».
Le développement des compétences, comme c’est le cas en formation professionnelle un des rares endroits où ce concept a du sens, nous oblige à être plus inventifs, à nous adapter et à innover dans nos pratiques et dans nos perceptions sur l’efficacité de la « Méthode ». La méthode pédagogique, je préfère utiliser l’expression stratégie didactique, que l’on devrait appliquer, pour favoriser le développement de la compétence de l’apprenant, est à être inventée. Il faut penser autrement en plaçant l’apprenant au coeur de l’objet (la compétence) à apprendre. Concevoir des stratégies qui favoriseront une véritable relation d’apprentissage, c’est-à-dire la rencontre de l’apprenant avec les savoirs à apprendre.
Les méthodes, les formules ou les stratégies tournent généralement autour d’une façon de faire qui devrait favoriser, chez l’apprenant, l’apprentissage des savoirs et le développement de sa compétence professionnelle. Ce qui nous amène à identifier deux éléments indissociables à considérer lord du choix d’une stratégie pédagogique, l’apprenant et l’objet à apprendre.
L’apprenant, avec ses styles d’apprentissage, et les savoirs, avec leurs niveaux de difficulté, constituent les contraintes de base à considérer pour faire un choix éclairé des actions et des ressources pour une stratégie prometteuse.
Développer des compétences en communication ou en planification du travail dans un programme de formation en secrétariat avec une stratégie d’enseignement individualisé présente des problèmes dont je n’ai pas encore constaté la solution. L’utilisation du travail en équipe avec un groupe d’apprenants en conduite de camion, qui travailleront généralement seuls, n’est pas très appropriée. L’enseignement magistral n’est pas très pertinent pour des apprenants qui doivent développer de la réflexivité et de la résolution de problèmes tel l’électromécanicien. Une méthode axée sur l’individu quand ce dernier devra exercer sa profession en interagissant avec les autres et son environnement, comme dans le domaine de la santé, est pour le moins peu pertinente.
La performance d’une stratégie devrait être en lien avec sa potentialité à mobiliser les efforts de l’apprenant et à favoriser sa réussite. Encore faut-il bien se situer par rapport à ce que l’on entend par réussite. En formation professionnelle, la réussite ne doit pas seulement se limiter à l’obtention d’un diplôme, mais également à l’insertion professionnelle.
Je demande souvent à des enseignants s’ils engageraient tous les élèves qu’ils ont diplômés. De façon générale, ils partent à rire et me disent non. À la question pourquoi vous ne les engageriez pas, ils me répondent, parcequ’ils ne sont pas compétents. Il y a donc un écart important entre la réussite des compétences associées au diplôme et le développement de la compétence au seuil d’entrée sur le marché du travail.
Il est important de constater qu’il ne pourrait y avoir une seule méthode qui puisse s’adresser à tous les apprenants et à tous les objets d’apprentissage permettant ainsi de développer toutes les compétences. Il y a des savoirs qui doivent être compris, d’autres mémorisés, d’autres transformés. Il y a des habiletés à acquérir, des capacités à pratiquer et des compétences à développer. C’est la finalité d’une formation, l’interprétation de ses intentions, l’articulation de ses objectifs qui déterminent la stratégie à concevoir. Il ne faut pas l’oublier, ce sont des compétences qu’il faut faire développer. Une compétence se développe à partir de l’interaction de l’apprenant avec son environnement de formation selon les situations de travail qu’on lui présente.
Le choix de la méthode est un faux débat si l’on considère cette dernière comme une recette pour enseigner un programme. Je peux affirmer qu’il n’y a pas de méthode unique qui permettrait d’atteindre cela.
C’est dans la diversité que l’on trouvera une piste prometteuse. L’enseignement différentié, présenté entre autres par Perrenoud, offre une avenue intéressante par sa préoccupation d’organiser des interactions et des activités, de sorte que chaque apprenant soit le plus souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui. Pour pouvoir faire cela, il faut considérer les styles d’apprentissage de ceux qui sont en formation.
Les styles d’apprentissage offrent un défi important. Chacun d’entre nous a un style d’apprentissage qu’il favorise. Comme le spécifie Kolb (1984), nous sommes soit des manipulateurs, des conceptualisateurs, des expérimentateurs ou des observateurs. La compréhension des incidences du développement de la compétence professionnelle nous amène à concevoir des stratégies qui permettent de mettre en valeur le style dominant de l’apprenant et le développement de l’ensemble des autres styles.
Le gagnant que je vous propose est « les méthodes ». C’est en proposant des méthodes intégrées dans une stratégie cohérente que l’on a le plus de possibilités de favoriser une véritable réussite des apprenants.
La méthode unique aura toujours comme effet l’exclusion des contenus et des apprenants qui ne s’y conforme pas. En apprentissage, ce n’est pas à l’apprenant à s’adapter. Il ne faut jamais oublier qu’une formation n’est pas organisée pour celui qui la donne ou pour la méthode choisie, mais pour celui qui la suit!
Que la meilleure méthode fasse un pas en arrière pour laisser la place aux autres!
Je terminerai donc en posant cinq questions que nous devrions considérer lors de la conception d’une stratégie pédagogique.
1. Quel élément de la stratégie pourrait donner de la pertinente à l’objet à faire apprendre?
2. Quel élément de la stratégie favoriserait la mobilisation des efforts de l’apprenant?
3. Quel élément stratégie permettrait d’avoir un impact sur la réussite?
4. Quel élément de la stratégie favoriserait les interactions?
5. Quel élément de la stratégie donnerait du sens aux savoirs à faire apprendre?
Jan 12, 2011 @ 09:37:07
Bonjour,
Une suggestion en réponse au présent billet : en FP, quitter le paradigme de la pédagogie – au sens littéral du terme – et lui préférer le concept d’accompagnement professionnel en référence à Michel Vial – http://www.michelvial.com/ ?
cf. Vial, M. et Caparros-Mencacci, N. L’accompagnement professionnel ? Méthode à l’usage des praticiens exerçant une fonction éducative. Bruxelles : De Boeck
merci pour votre site et votre travail très généreux.
Bonne journée
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Jan 10, 2011 @ 12:31:40
Je trouve le propos de ce billet efficace et tristement encore utile. Tristement, en effet, parce qu’il énonce, à bien des égards, des idées qui sont l’enfance de l’art et qui, pourtant, ne semblent pas encore avoir effleuré l’esprit de nombreux « artistes » concernés. Je me demande par ailleurs ce que vous sous-entendez lorsque vous dites, à propos du développement des compétences : « comme c’est le cas en formation professionnelle un des rares endroits où ce concept a du sens ». J’abonderai spontanément dans le même sens en disant qu’il est difficile de travailler au développement de compétences dans le programme Science de la nature, au collégial, alors que les « compétences » n’en sont pas, à tout le moins comme elles sont libellées à l’heure actuelle. Il est possible, par contre, d’enseigner « par compétences ». Je crois aussi qu’il est possible de travailler au développement des compétences dans d’autres programmes qui ne sont pas de formation professionnelle, du moins le crois-je. Bien entendu, de nombreuses nuances seraient de mise, mais je demeure néanmoins intéressé à vous entendre sur le sens précis de vos propos à cet égard.
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Jan 10, 2011 @ 14:02:05
Effectivement, il est triste d’être obligé de revenir sur ce sujet. Malheureusement, j’ai à intervenir dans des milieux où l’on implante, par exemple, l’enseignement individualisé avec une totale improvisation sans se questionner sur l’objet à apprendre ou les intentions du programme. Ce qui est généralement important c’est que les élèves réussissent les examens et puissent avoir le diplôme.
Je limite mon intervention à la formation professionnelle ou technique. La raison en est que je suis en mesure de concevoir la mise en oeuvre d’une compétence dans un contexte particulier, ici un métier ou une profession, où je dispose d’un sens à faire construire autour des savoirs à faire apprendre. Ma représentation d’une compétence, comme celle de LeBoterf, c’est qu’il ne peut y avoir de développement de compétence sans un contexte et une dynamique dans ce contexte pour mettre en oeuvre le savoir, savoir-faire et savoir-être.
La formation générale tente, tant bien que mal, d’interpréter la compétence autour de prétextes et non de contextes. Le contexte ici doit avoir un sens univoque pour l’apprenant et non pour l’enseignant. Étant donné mes limitations à l’articulation fonctionnelle de la compétence en FG, je me limite à la FP. Vous pourrez consulter mes autres articles sur le concept de compétence où j’explique, je pense clairement, ma représentation de ce concept. Je fais même une distinction entre les compétences écrites dans un programme et la compétence professionnelle que doit développer, non acquérir, l’apprenant.
Vous faites une distinction intéressante entre «développer une compétence» et «enseigner par compétences», surtout au collégial où je constate que des professeurs ont parfois jusqu’à six morceaux de compétences dans leur plan de cours.
J’aimerais aussi vous lire sur votre représentation «d’enseigner par compétences».
Je conclurai en spécifiant que les programmes FP et FT sont écrits par compétences sur la base d’analyse de situations de travail. Les programmes en FG sont écrits sur la base de savoirs disciplinaires. En FP et en FT la situation et le sens précèdent et donnent le ton à l’interprétation de la compétence, en FG cette étape arrive après il me semble. Ce qui ouvre la porte à la multitude d’interprétations et de définitions de ce concept.
C’est une réflexion à chaud!
Merci de votre intervention!
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