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J’ai vite appris qu’en classe l’utilisation du cerveau ne pouvait dépasser l’endurance des fesses. Plus tu es grand et pesant moins tes fesses ont de l’endurance. Étant donné que mon groupe était composé exclusivement d’adultes, il est facile d’imaginer que leur endurance était très faible ainsi que leur capacité d’attention.

Contrairement au dicton de mon oncle sur les chevaux, dont j’ai déjà traité dans une chronique précédente, je ne peux pas dire que c’est mon intelligence qui m’a permis de contrôler mes élèves, mais mon instinct de conservation.

Le modèle que j’avais d’un prof était qu’il était en avant et qu’il disait des choses qui, la plupart du temps, ne m’intéressaient pas. Il me disait alors que je comprendrais plus tard l’utilité de ses propos. Malgré cela, j’ai reproduit ce modèle instinctivement. Si ça marchait pour les autres pourquoi cela ne marcherait pas pour moi ?

Ma stratégie était donc de transmettre verbalement les informations. Les élèves m’écouteraient avec attention, respect et intérêt aussi longtemps que nécessaire.

Vous comprendrez que j’ai rapidement déchanté. Les élèves que j’avais devant moi avaient tous été brûlés par cette méthode. Ils m’ont rapidement expliqué que plus tard c’était maintenant. Si ce que je leur disais n’était pas utile maintenant ils ne voyaient pas pourquoi ils devraient faire l’effort de l’apprendre. Il était donc inutile qu’ils m’écoutent.

On fait quoi maintenant ?

Ils étaient tannés d’écouter des niaiseries, selon eux, ils étaient impatients de commencer à faire de vraies choses en atelier. Le principe était qu’il était inutile d’apprendre à faire si l’on pouvait faire en apprenant. Je tentais tout de même de persister dans mon modèle en me disant qu’ils ne pouvaient pas apprendre si je ne leur disais pas les informations.

Il ne faut pas me blâmer, comme pour tous les enseignants en formation professionnelle, il n’y a pas si longtemps j’étais dans mon atelier à faire les tâches de ma profession. Je n’étais pas un expert de la pédagogie et de la didactique. De toute façon, à constater l’état de mes élèves par rapport aux apprentissages, je n’étais pas trop pressé de reproduire le modèle qu’ils avaient vécu. De toute évidence, je ne pouvais pas faire pire malgré toute mon ignorance en la matière.

Ils ne voulaient pas demeurer passifs en classe à m’écouter et je ne voulais pas les voir actifs en atelier sur des machines à bois sans formation. Cela ne donnait rien de les forcer à rester en classe pour m’écouter, car ils n’apprendraient pas et en atelier le résultat serait le même. Que faire alors ?

Je devais donc changer de stratégie. Il fallait les motiver à vouloir rester en classe le temps nécessaire pour apprendre ce qu’il fallait pour pouvoir réaliser les activités en atelier en toute sécurité. J’ai alors pensé à une autre façon de faire. Il fallait que je leur propose des problèmes qu’ils auraient le goût de résoudre et dont la résolution nécessiterait d’apprendre ce que je veux leur faire apprendre. Il fallait débuter par un problème et non par la matière à apprendre. Il fallait que durant la démarche de résolution ils aient accès à des ressources leur permettant de surmonter les obstacles. Je serais perçu comme une ressource utile plutôt qu’un prof qui s’acharne à transmettre ses connaissances et sa passion dans un désert d’intérêt.

À suivre …