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Je pensais qu’en atelier j’aurais plus de temps libre pour donner des explications et faire des démonstrations aux élèves. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Pendant que je travaillais avec un élève, j’en avais trois autres qui venaient me demander quoi faire, deux autres qui me demandaient si ce qu’ils avaient fait était correct, trois autres qui avaient décidé de faire autre chose que ce que j’avais demandé et la balance restait à leur établi à ne rien faire. À travers tout cela, je tentais de donner mes explications jusqu’au moment ou j’entendais un outil faire des sons bizarres. Je courrais pour aller voir et donner les indications, réparer l’outil ou l’ajuster pendant que le dernier élève expliquait aux autres sa frustration d’avoir été abandonné par le prof pendant son explication. Il fallait faire quelque chose.

J’ai compris, avec le temps, que le travail en atelier faisait partie d’un tout dont il fallait synchroniser chacune des composantes pour pouvoir arriver. Mais en quoi consistait ce tout ?

Le tout est composé d’un ensemble d’éléments qui permettent le bon fonctionnement des apprentissages pratiques. Les composantes de ce tout sont le programme, les savoirs sous-jacents à faire transférer, le climat à installer, l’aménagement à valider, le contexte de la tâche à provoquer, la situation de travail à analyser, les ressources à exploiter, les interactions à gérer, le but à atteindre, les intentions à considérer, les procédures à appliquer, les directives et les règles à respecter, les pratiques de travail à adapter, les circonstances à considérer et les attitudes à manifester. Certains de ces éléments consistent à faire en sorte que l’apprenant sache pourquoi il est là, qu’est-ce qu’il a à faire et comment il doit le faire. Il doit essentiellement connaître le but à atteindre, la tâche à réaliser et les pratiques à adapter. Il faut lui permettre d’avoir une représentation tangible des tâches à réaliser, de la façon de les réaliser et du sens de cette tâche dans la finalité de la formation. C’est simple, le quoi, le pourquoi et le comment, et pourquoi pas un peu de quand.

Le danger qu’il faut surtout éviter est que vos élèves se transforment en exécutants et vous en tuteur. C’est ce qui m’est arrivé durant ma première année d’enseignement. L’atelier était organisé comme l’atelier que j’avais en entreprise. Mes élèves étaient un peu comme mes employés. Il faisait ce que je leur disais de faire. Ils devenaient de plus en plus dépendants de mes consignes, de mes directives, de mes évaluations et je me plaignais de leur manque d’autonomie et d’initiative. J’avais moi-même créé le problème et je les blâmais. Inconsciemment, j’aimais être le héros et les sauver.

Ce n’étaient pas eux qui faisaient des erreurs, c’était moi qui les avais mal informés. Ce n’est pas eux qui étaient en retard dans leur travail, c’était moi qui ne leur avais pas dit de commencer. Ce n’est pas eux qui avaient brisé l’outil, c’était moi qui ne leur avais pas dit de ne pas le faire. Ce n’est pas eux qui se sont blessés, c’est moi qui ne leur ai pas dit de faire attention. Plus je leur disais d’être autonomes, plus ils étaient dépendants.

J’ai appris avec le temps que cela fait partie de la nature humaine, en éducation en tout cas. Le professeur est porteur de magie et de vérité. La vérité tient au fait que le professeur est au courant des réponses qu’il faut avoir. La magie c’est quand un élève vous demande un truc pour être en mesure de faire ce que vous lui demandez d’apprendre sans être obligé de comprendre et de faire des efforts.

C’est naturel, pour un élève, de se référer à son prof. Pourquoi prendrait-il l’initiative de faire autre chose que ce que le prof demande ? Si il veut être certain de réussir, pourquoi ne pas demander au prof si ce que l’on fait est correct ? En faisant cela, on évite l’échec. S’il y a un échec c’est la faute du prof. Quoi de mieux que de s’assurer d’avoir un coupable à sa place. C’est l’approche de ceux qui sont mode problème, plutôt qu’en mode solution. Protège-toi en trouvant quelqu’un pour porter le chapeau.

Dans mon cours le coupable c’était moi. J’étais rendu dans l’absolu de l’approche du dire. Je leur dis quoi faire, comment le faire, quand le faire et où le faire. Si cela ne fonctionne pas, c’est nécessairement de ma faute. Je ne savais pas qu’au lieu de dire, il fallait faire dire. Les élèves doivent découvrir le travail à faire, faire des hypothèses du comment le faire, évaluer le résultat, corriger leurs erreurs et être responsable. Mon rôle devait être de compléter, de valider, de corriger ou de les informer, au lieu de penser à leur place.

Cela ne veut pas dire que je n’ai rien à faire, au contraire. Il faut planifier des situations pour que tout cela puisse arriver dans le temps et selon les ressources disponibles. Il faut devenir un stratège à la place d’un guide ou d’un tuteur. De cette manière on peut espérer être en mesure de développer, chez les élèves, l’autonome, l’initiative, la résolution de problèmes, la maturité, la débrouillardise et plus encore. On peut donner à quelqu’un des informations, c’est ce que l’on appelle la transmission du savoir. On peut entraîner quelqu’un à faire, c’est ce que l’on appelle l’entraînement au savoir-faire. On peut qu’accompagner un élève à manifester les bons comportements professionnels, c’est ce que l’on appelle l’adhésion au savoir-être. Pour que cela puisse se faire, il faut mettre en place un contexte qui a du sens et cela n’est pas simplement un atelier. Il faut créer un climat, des conditions, des ressources, une dynamique, des intrigues, c’est-à-dire un environnement au sens large du terme. Mettre volontairement en place l’ensemble des éléments naturels et culturels qui entourent un travailleur ou une travailleuse par rapport à sa profession.

À suivre … 5. Y a-t-il un pilote dans l’avion?