Noirceur

Vous allez me dire que c’est facile en ébénisterie, le résultat est concret. Il y a juste à regarder le résultat, seulement à voir, on voit bien. Cela n’est pas si simple. J’ai comme exemple un projet que j’ai fait faire à mes élèves. Ils devaient fabriquer un coffre à outils en bois. Ce coffre comportait certaines caractéristiques qui mettaient à l’épreuve la précision des assemblages réalisée par l’élève. Il y avait un couvercle dans sa partie supérieure et un tiroir dans sa partie inférieure qui devait coulisser d’une extrémité à l’autre. L’un de mes élèves, rappelez-vous les caractéristiques de mes élèves que j’ai décrit dans l’un de mes textes précédents, me fait venir à son établi pour me faire évaluer son travail. Malgré les consignes et directives écrites, malgré la réalisation du plan du coffre, malgré une liste et une description des pièces, le coffre ne répondait en rien à ce qui avait été demandé et pourtant mon élève était convaincu du contraire.

Il faut constamment avoir à l’esprit que tout le monde perçoit et interprète son environnement à partir de ses représentations. Si je vous parle d’une souris, selon que l’on parle d’informatique ou de zoologie, le sens est différent. Au moment où je donnais des cours d’informatique, dans la préhistoire, il y a vingt-cinq ans, lorsque je présentais une souris, les gens avaient de la difficulté à faire le lien entre le mot souris et un objet attaché à un fils. Si c’était une souris, elle avait la queue dans le visage, si on se référait à son mode d’utilisation. Pour d’autres, un objet sur lequel on pesait et qui était au bout d’un fils était plus proche d’une pédale de machine à coudre que d’un ordinateur. Tout cela pour vous dire que tout est sujet à interprétation. La formation est là pour que l’interprétation soit le plus près de la réalité selon le contexte. Seulement à voir, on voit bien qu’à la noirceur on ne voit rien !

Revenons à mon élève et à sa mauvaise interprétation du résultat de son travail. J’ai observé longuement le coffre qu’il avait réalisé, j’étais perplexe ! Je me disais que cela ne se pouvait pas, il voulait se moquer de moi, il devait certainement savoir que cela n’avait pas de sens. Nous en étions à la fin du premier tiers de la formation et il me produisait un travail carrément inadéquat. Les tolérances du tiroir devaient être de trois millimètres et il en était à dix à une extrémité et à douze à l’autre. Le couvercle avait quinze millimètres plus petits que le corps du  coffre et je ne vous parle pas de l’équerrage. Au bout d’un moment, il me regarde avec un sourire et il me demanda si j’avais trouvé un défaut à son travail, selon lui son travail était le meilleur qu’il avait produit depuis le début du cours.

Surpris de son commentaire, je lui ai indiqué que je ne cherchais pas une erreur, je cherchais un élément conforme à ce qui avait été demandé. Vous allez me dire que je n’ai pas été très gentil, j’aurai pu lui dire que c’est très bien, mais c’était à une autre époque …

À suivre…  4. Qui peut veut.