Groupe SU.P.OR.

Ce modèle d’action, appelé groupe SU.P.OR. (Boudreault, 2002) pour suivi pédagogique organisé, est appliqué à partir d’un groupe d’enseignants qui travaillent ensemble sur des problématiques d’apprentissage, d’où son l’appellation. Les enseignants sont amenés à percevoir le lien entre l’efficacité de l’outil didactique et leur capacité à expliciter et à formaliser l’objet d’apprentissage.

Ce modèle d’action (Fig. : 1) est devenu une référence quant à la façon de tenir des rencontres de perfectionnement et de production en didactique par les enseignants. Son application a permis de constater une plus grande efficacité en comparaison à des groupes où ils étaient livrés à une démarche spontanée et empirique. Chacune des étapes du modèle d’action et des activités qui y sont liées ont été identifiées à la suite d’observations faites dans l’action à partir des façons de faire récurrentes des enseignants participants.

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Figure 1 : Le modèle d’action SU.P.OR.

Le groupe SU.P.OR. et les éléments du modèle d’action sont le résultat de six années de travail avec des enseignants de la formation professionnelle dans la production d’instruments didactiques et pédagogiques. Ces groupes de travail avaient pour but d’amener des enseignants, à partir de l’action, à mettre en commun leurs expériences pour expliciter des problèmes en pédagogie et, à l’aide de leur expertise, de produire des instruments didactiques permettant de résoudre ces problèmes.

Le modèle d’action explicite et formalise ce qui se passe dans le groupe de travail. En organisant le travail du groupe de manière systématique, cela a eu pour effet de rendre plus prévisibles les effets de la démarche de travail. Le concept de système est ici considéré dans le sens de De Rosnay (1975,101) « comme un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d’un but.»

Pour stimuler l’action voulue par le groupe SU.P.OR., les enseignants sont guidés par une personne-ressource dont la fonction est d’accompagner les participants à travers les étapes et les activités du modèle d’action. L’accompagnateur élabore également les représentations des savoirs en construction par les enseignants participants. Elle permet, dans le sens de Vidal (1991), «de modéliser les façons de penser et de raisonner dans un domaine de connaissance, car celle-ci le constitue tout autant que son contenu ».
Le problème du développement de la compétence en didactique des enseignants de la formation professionnelle est complexe. Il faut prendre en considération, entre autres, les composantes de l’analyse anthropopédagogique (Morin, 1992), la formation des enseignants, leurs spécialités disciplinaires, les programmes par compétences, l’instabilité des objets d’apprentissage, leur formation sur le tas, etc. En partant de la réalité de l’enseignant, le groupe SU.P.OR. oblige la prise en compte de ces composantes et joue aussi le rôle de contexte. Le contexte fait évoluer le modèle et le modèle fait évoluer le contexte. Ceci représente bien ce que Morin décrit comme étant une construction herméneutique dans son explication de la recherche-action intégrale systémique. « L’herméneutique est un processus qui inscrit tout phénomène réfléchi dans un contexte afin de l’interpréter en tant qu’événement de manière à éclairer chaque instant et chaque élément ou concept qui le constituent. » (Morin,A. 1992  dans Legendre, 1993).

Le modèle d’action du groupe SU.P.OR. est un système ouvert sur l’environnement éducatif de la formation professionnelle et la réalité des enseignants qui y oeuvrent (Fig.: 2). Il couvre l’ensemble du processus de résolution de problème en didactique, c’est-à-dire l’explicitation de la situation problème, la contextualisation dans la situation d’apprentissage, la construction de l’hypothèse de solution, la production du moyen didactique concrétisant la solution et l’application pour la mise à l’essai dans le contexte d’apprentissage.

La démarche du modèle d’action conduit les participants dans un processus d’explicitation, de contextualisation, de construction, de production et d’application de nouveaux instruments ou de nouvelles stratégies didactiques. De manière plus particulière, les étapes 1 et 2 du modèle d’action, font appellent à des éléments de la recherche-action, tandis que les autres étapes sont plutôt liées à des éléments de la recherche-développement. L’explicitation est utilisée dans le but d’amener les participants à exprimer, modéliser et formaliser leurs discours autour du problème d’apprentissage à résoudre. De façon complémentaire, la contextualisation fait plus appelle à la recherche-action par son intention de conception et d’élaboration de l’idée de solution à partir de la nouvelle compréhension élaborée à l’étape précédente.

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Figure 2 : Le système ouvert du modèle d’action SU.P.OR.
Les enseignants travaillent rarement, de manière consensuelle, à construire des représentations, à organiser les savoirs préalables, à élaborer des façons de faire, et à définir des concepts. En général, on observe que chacun travaille pour lui-même ce qui conduit à des pratiques pédagogiques hétéroclites, laissant à l’apprenant le travail de décoder les savoirs et d’établir les liens qu’ils nécessitent. À plusieurs reprises, nous avons constaté que bon nombre de problèmes d’apprentissage chez les apprenants étaient la conséquence de la confusion dans l’organisation des savoirs.

La situation est délicate lorsqu’il faut amener les enseignants à remettre en question leurs représentations des éléments de leur expertise disciplinaire. Le choix d’exploiter le processus d’herméneutique, m’est apparu une démarche prudente, pour faire cheminer les enseignants dans leurs interprétations de l’objet d’apprentissage. Ces derniers, dans le groupe SU.P.OR., doivent exprimer leur perception d’une problématique d’apprentissage qu’ils vivent ou que les apprenants vivent. Chacun présente son point de vue, explique sa réalité et précise ses stratégies pédagogiques. C’est à partir des discussions communes, de l’effort de compréhension du discours de l’autre et de l’appréhension de la problématique, que se construit l’idée de solution. C’est la construction des représentations des éléments du problème élaboré en interaction et en coopération qui les amènera à développer, par la dialectique qui en découle, leur compétence en didactique. La démarche de résolution des problèmes en didactique débute par l’apprentissage de la définition du problème. Cette activité participative réflexive ne manque pas d’inspirer les participants dans l’organisation future de leur stratégie d’enseignement.

L’utilisation du vécu des enseignants, comme déclencheur de la dynamique du groupe SU.P.OR., permet d’arrimer plus facilement leurs nouvelles expertises en didactique avec leurs pratiques antérieures. Le sens des travaux, lié à la réalité, fournit des repères pour expérimenter les nouvelles pratiques qui se développeront ainsi dans l’action.  C’est la dynamique du système ouvert, de l’échange se reflétant en recherche-action systémique dans l’action – réflexion – action.

L’effet premier, pour les enseignants, des résultats des travaux d’un groupe SU.P.OR. , est la prise de conscience nouvelle d’avoir enfin une emprise sur des problèmes récurrents en pédagogie et parfois réputés insolubles.

L’enseignant, en développant ainsi sa compétence en didactique, formalise les façons de faire et devient en mesure de les transposer dans ses stratégies didactiques. Le groupe SU.P.OR. favorise ainsi la rencontre entre l’enseignant et l’objet d’apprentissage, puisque c’est en exploitant son expertise disciplinaire que l’enseignant transpose un objet technique en une stratégie didactique de l’apprentissage de la technique.

Le désir de créer un lien entre l’accompagnateur, expert en didactique, et le praticien justifie ainsi l’utilisation de la recherche-action intégrale systémique pour faire expliciter par les enseignants les situations problèmes. En plus de favoriser le développement d’une solution au problème de perfectionnement des enseignants en didactique, cette démarche permet la recherche de solutions, dans l’action, aux problèmes d’apprentissage des apprenants par l’enseignant qui devient alors, à certains égards, lui-même chercheur.

La définition de la RAIS de Morin (1997 : 39) démontre bien ce qui se passe quand les enseignants échangent ensemble sur la réalité de leurs enseignements, qu’ils essaient d’expliquer leur réalité et qu’ils s’investissent dans la construction des activités d’apprentissage.

« En recherche-action intégrale systémique (RAIS), on s’engage dans un processus actif de construction de la connaissance. La réalité est appréhendée dans sa globalité ; on ne la dépouille pas de sa complexité, mais on cherche plutôt à laisser émerger les enchevêtrements des interventions sociales et leurs interrelations dans un modèle dynamique. L’équipe est au cœur du processus. Les chercheurs s’investissent dans l’action.»

Le groupe SU.P.OR. offre un environnement favorable pour la résolution de problèmes. La dynamique du processus de travail des enseignants, suscite de manière intentionnelle, une interaction entre les représentations des participants et les représentations construites par l’accompagnateur. Les enseignants cherchent des solutions aux problèmes d’apprentissage des apprenants et l’accompagnateur cherche dans l’action des outils et des façons de faire pour améliorer l’efficacité du modèle d’action (Fig. :3).

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Figure 3 : Les enseignants chercheurs et l’accompagnateur chercheur.

Le travail de l’accompagnateur et des enseignants est facilité par les outils proposés qui deviennent le fondement d’une « grammaire » fournissant le vocabulaire et les règles nécessaires à l’explicitation et la formalisation de l’objet pour en favoriser la construction. Pour l’enseignant, le défi est alors de concevoir ses propres activités d’apprentissage, sans se référer exclusivement aux guides ou aux manuels créés par d’autres.