Attitude, savoir-être et conduite au coeur du développement de « La » compétence professionnelle

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Le savoir-être  est un sujet d’actualité, mais hasardeux, que je qualifierai même de périlleux. J’ai indiqué que le savoir-être est d’actualité, car j’entends souvent dire, par les employeurs, que plusieurs personnes sont engagées à partir de leurs compétences techniques et remerciées de leurs services à cause du manque de savoir-être. Le personnel enseignant en formation professionnelle m’indique également que les attitudes des élèves sont souvent inappropriées. Les enseignant.e.s me disent que les élèves qui réussissent n’ont pas toujours les bonnes attitudes. Comment peuvent-ils réussir en sachant que le savoir-être fait partie intégrante de la compétence professionnelle à développer? 

On trouve maintes raisons à cette problématique, mais on semble démunie à pouvoir agir dessus autrement qu’en sélectionnant les bon.ne.s candidat.e.s à la profession.  Il y a un travail à faire pour atténuer cette problématique dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, de la complexité du travail, du développement des compétences et de l’impuissance apparente des intervenants à amener les apprenants à s’approprier les niveaux d’attitudes professionnelles requises. 

L’avancement de l’intelligence artificielle nous oblige à travailler sur le développement de l’intelligence professionnelle et par conséquent sur l’intelligence naturelle des élèves. Nous abordons ainsi le cœur du problème. Plusieurs savoir-être nécessitent un développement plus important et à des niveaux plus élevés d’habiletés cognitives comme la littératie, la résolution problème, le jugement critique, l’adaptation et la création, pour en nommer que quelques-unes. 

On pense souvent, à tort, que les savoir-être sont innés et qu’il n’y a rien à faire, c’est la faute de l’éducation donnée par les parents. Heureusement, ce n’est pas le cas. Les savoir-être sont acquis et ils peuvent évoluer et se transformer. Si l’on consacrait autant d’énergie à concevoir des conditions pour que l’apprenant.e puisse apprendre et manifester les savoir-être que l’on en consacre à les évaluer, il est plus que probable, que l’on aurait de meilleurs résultats.

J’indique aussi que c’est un thème hasardeux, car  il y a des risques à s’aventurer dans l’univers du savoir-être, des attitudes et des comportements. Comme l’objectif des missions du capitaine Kirk, dans la série Start Trek, était  « d’explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d’autres civilisations et, au mépris du danger, avancer vers l’inconnu », c’est un peu similaire à la mise en œuvre des savoir-être dans l’enseignement dont la mission serait « d’explorer de nouvelles pratiques inédites, découvrir de nouvelles motivations, d’autres avenues à l’engagement des apprenant.e.s, et au mépris du statu quo, avancer vers la nouveauté ». 

 Je travaille sur ce thème depuis plus de vingt ans avec des enseignant.e.s, des organismes et des entreprises. J’ai eu l’occasion d’expérimenter plusieurs façons de faire et j’ai une vaste expérience des réalités vécues dans les différents milieux. Mon risque est calculé et je pense être en mesure d’apporter un éclairage original pour aborder la mise en place de conditions favorables à la compréhension, à l’adhésion, à l’engagement, à l’implication et aux manifestations d’une conduite professionnelle en cohérence, par les apprenants.es, aux qualités professionnelles associées à l’identité professionnelle d’une fonction de travail. 

Finalement, j’ai qualifié mon thème de périlleux, car il met en danger des pratiques de formation incompatibles avec le désir de développement des savoir-être visés. J’ai entendu, trop souvent, les commentaires au sujet des élèves selon lesquels ces derniers n’étaient pas autonomes, qu’ils manquaient d’initiative, qu’ils n’étaient pas débrouillards, qu’ils n’étaient pas persévérants, etc. Malheureusement, je n’ai pas été en mesure de repérer, dans les stratégies d’enseignement de ceux qui se plaignaient, des pratiques intentionnelles permettant le développement de ces mêmes savoir-être, au contraire, certaines pratiques allaient à l’encontre de leur manifestation. 

J’utiliserai un terme employé par Patrick Dubéchot, dans son article, très éclairant, «  Savoirs implicites et compétence collective » (1999), de « savoir y faire » pour distinguer l’apport personnel interne lié à l’expérience qu’une personne ajoute au simple savoir-faire. Le « savoir y faire », selon cet auteur, est un savoir empirique issu de l’action, savoir qui ne peut être produit qu’en agissant. Ce sera notre piste pour la mise en œuvre des savoir-être.

L’expression « Tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir » est un bel exemple du phénomène que j’ai constaté à travers mes années d’expérimentation. L’aspect périlleux est la conséquence  de la mise en place des conditions  pour susciter le développement, chez vos apprenants, des savoir-être cohérents à l’identité professionnelle d’une fonction de travail. Vous devrez nécessairement changer la façon d’aborder l’apprentissage, et par conséquent l’enseignement, de ces savoir-être. C’est Einstein qui écrivait que «  La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ».

Pierre Pastré nous propose une piste intéressante pour envisager l’apprentissage du savoir-être en distinguant le « sait faire » du «  peut faire ». Lorsque l’on parle aux apprenants des savoir-être, on se limite à la possibilité qu’ils « sauront faire » au détriment du « pourront faire ».  L’enseignement en formation conventionnelle consiste, trop souvent pour l’enseignant, à transmettre des savoirs, et pour les élèves, à acquérir des savoirs. J’utilise volontairement le concept d’élève, car dans ce contexte il n’est pas un apprenant. Minimalement, cela peut avoir un certain succès pour l’évaluation des savoirs explicites, mais c’est totalement inefficace pour la compréhension et l’application des savoirs implicites

Les savoir-être sont des savoirs implicites qui n’apparaissent que dans l’action en situation. Ne pas confondre ici avec les stages, à ce moment il est trop tard pour que l’apprenant développe une conduite professionnelle appropriée à ses responsabilités. 

J’aurai l’occasion d’y revenir dans les prochaines chroniques. La prémisse qu’il faut comprendre est que l’on n’apprend pas un savoir-être en écoutant un.e enseignant.e nous en parler, comme on n’apprend pas à faire du vélo en écoutant un spécialiste du vélo nous en parler. C’est en créant une situation professionnelle avec des événements professionnels que l’apprenant trouvera, à partir de l’expérience qu’il vivra, les informations et les repères qui lui permettront de constater la pertinence d’agir de telle ou telle façon. Ensuite, ce sera par la réflexivité qu’il en comprendra le sens et sera ainsi en mesure d’en faire le transfert dans d’autres situations.

Pour comprendre les propriétés du savoir-être, je ferais la comparaison avec la physique quantique où les objets physiques peuvent avoir la particularité d’agir à la fois comme une onde et à la fois comme une particule. De la même manière, le savoir-être est un savoir qu’il faut apprendre, et au même moment, un comportement que je dois manifester en situation pour être en mesure de l’apprendre. 

L’objet d’apprentissage, l’événement qui le suscite, les repères qui le caractérisent, la tâche qui le met en action, les circonstances du contexte et les éléments de la situation de travail doivent se vivre en même temps pour faire apparaître le sens et par la suite la réflexivité sur l’action qui fera émerger la compréhension, par l’apprenant du savoir-être. En résumé, l’expérience de l’action située et la réflexivité sont les deux piliers du développement du savoir-être professionnel et par conséquent de l’identité professionnelle de l’apprenant.

Qu’est-ce que je veux apporter de nouveau ?

Ma réponse à cette question est essentiellement didactique, mais en didactique de la formation professionnelle. Je veux vous proposer des idées  qui devraient vous permettre de susciter la présence, la compréhension et le développement des savoir-être professionnels.

Voici comment je désire procéder. À travers mes années d’expérience, j’ai inventorié un bon nombre de ce que l’on pourrait appeler de savoir-être. Une quinzaine ont été choisis systématiquement par des intervenants avec lesquels j’ai travaillé. J’ai regroupé ces savoir-être en trois catégories représentant les dimensions des savoir-être.

Ce sera à partir de cette sélection que je vais aborder mes prochaines chroniques.  Cinq questions seront à la base du traitement de chacun de ces savoir-être, qui ne sont pas des compétences comme certains l’affirment. Le savoir-être contribue à la manifestation d’une compétence professionnelle, mais elle n’est pas une compétence en elle-même. 

Voici les cinq questions qui seront traitées pour chacun des savoir-être :

  1. Quel en est le sens professionnel?
  2. Quelles en sont les manifestations?
  3. Quels sont les événements, les tâches qui en nécessitent la manifestation?
  4. Quelle est la situation professionnelle artificielle qu’il faut mettre en place?
  5. Quelles en seront les incidences dans l’organisation didactique de mon enseignement?

J’ai utilisé plusieurs concepts (en gras) dans mon article qui seront expliqués dans mon prochain article pour que nous puissions nous comprendre. Comme les savoir-être, tout le monde sait de quoi il est question, mais personne n’en a la même compréhension.

Ma prochaine communication s’intitulera « De quoi est-il question?».

Apprendre des savoirs ou utiliser les savoirs pour apprendre?

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Depuis quelque temps, je me questionne sur la façon de développer la compétence professionnelle chez les apprenants. L’arrivée de l’intelligence artificielle et la nécessité d’élever le niveau d’intelligence professionnelle des apprenants, pour faire face aux réalités du monde du travail, m’amènent à me questionner sur la façon dont on aborde l’enseignement à partir des savoirs.

On se base souvent sur le fait que pour manifester une compétence professionnelle il faut acquérir des savoirs, réaliser des savoir-faire est manifester des savoir-être. Mais c’est peut-être erroné de se baser sur les savoirs pour faire développer la compétence professionnelle. C’est ce qui m’amène à m’interroger sur la pertinence de baser nos enseignements sur les savoirs plutôt que sur les habiletés nécessaires pour apprendre ces savoirs.

Compétence professionnelle (Boudreault, H. 2002)

On utilise souvent l’expression « apprendre à apprendre », mais rarement on sait de quoi l’on parle, de façon fonctionnelle, lorsqu’on l’utilise. En ce qui me concerne, j’associe apprendre à l’action de chercher, un apprenant qui cherche est entré dans le processus d’apprentissage. On apprend lorsque l’on cherche et pour chercher, il faut que l’on me propose une quête, un problème, un projet, une tâche, une situation, etc. Mais pour chercher, et non tâtonner, il faut que je possède un minimum de capacité et d’habileté. Finalement « apprendre à apprendre  » c’est peut-être chercher à chercher.

On entend souvent les vertus de la résolution de problèmes pour être en mesure de faire face aux défis du marché du travail dans un futur immédiat. Je rétorque qu’il faut repérer le problème pour pouvoir le résoudre. Il me semble que trouver le problème est tout aussi important que de le résoudre et je dirais même que cela demande plus de capacités.

Je milite donc pour une stratégie d’enseignement qui se baserait sur l’utilisation des savoirs pour provoquer le développement des habiletés nécessaires et la manifestation de la compétence professionnelle, au lieu de l’inverse où l’on pense qu’en acquérant des savoirs on développe des habiletés. Il faut faire attention pour ne pas attribuer à une façon d’enseigner des effets qui sont le fruit du hasard. Il y aura toujours des apprenants qui apprendront, peu importe la stratégie qui sera mise en place. Ce n’est pas sur eux qu’il faut se baser.

Ce n’est pas en apprenant un savoir que l’on permet de développer sa capacité à résoudre des problèmes. C’est en étant placé dans une situation ou il y a des problèmes à résoudre que le savoir puisse prendre tout son sens. Ma capacité à résoudre des problèmes est pérenne, le savoir que j’apprends quant à lui peut faire l’objet de changement selon les réalités des situations de travail et le temps.

J’aimerais préciser ma pensée sur certains termes que je viens d’utiliser. Les termes de capacité et d’habileté en lien avec la compétence professionnelle. Le code national des professions canadien vient de publier un texte sur le sujet qui vient éclairer mes propos. Ils ont travaillé sur l’éclaircissement entre les termes anglais et français pour traiter des compétences. Le terme « skills » se traduit à « compétence », tandis que « competency » se traduit à « capacité ». 

Taxonomie du développement de la compétence professionnelle.

Voici les définitions qu’il propose :

Capacités: L’utilisation combinée des attributs personnels, habiletés, compétences et connaissances, pour accomplir efficacement un travail, un rôle, une fonction, une tâche ou un devoir. (Source: Adaptation des définitions du “International Society for Performance Improvement”, et de l’Organisation de coopération et de développement économiques.)

Compétences: Capacités développées qu’un individu doit avoir pour effectuer efficacement son travail, son rôle, ses fonctions ou ses tâches. (Source : Adaptation de la définition de « Skills » d’O*NET.)

Habiletés: Aptitudes innées et développées facilitant l’acquisition de connaissances et de compétences requises pour effectuer le travail attendu.

Attributs personnels: Caractéristiques personnelles innées et développées par l’entremise du contexte social et des expériences personnelles auxquelles l’individu est exposé. Ces qualités influencent la façon d’être et de faire et sont considérées comme des plus-values pour la performance au travail.

J’adhère à l’idée qu’il y aurait une nuance à faire entre les deux. Les « competencies » (capacités) présument l’utilisation des «skills » (des compétences), ainsi que des habilités et des attributs personnels pour réaliser une tâche ou répondre à une demande (CNP, 2023).

On sait déjà que les apprenants réalisent leurs apprentissages à partir de ce qu’ils ont appris précédemment ou qu’il possède personnellement. C’est ce que l’on pourrait associer aux attributs personnels de l’apprenant qui intègre ce qu’il sait, ce qu’il sait faire, ce qu’il est et les talents dont il dispose.

Pour favoriser le développement de sa compétence professionnelle, il faudrait donc axer les apprentissages sur les habiletés plutôt que sur les savoirs spécifiques. Les savoirs servant de prétexte au développement d’habileté qui conduirait, plus sûrement, l’apprenant vers les capacités propres à la compétence professionnelle.

J’ai fait un petit inventaire des habiletés sur lesquelles il faudrait baser nos stratégies d’enseignement :

Liste, non exhaustive, des catégories et de types d’habiletés.

C’est un début de réflexion pour adapter nos enseignements aux réalités auxquelles nous devrons faire face pour que nos apprenants soient en mesure d’affronter l’avenir.

Lors d’une entrevue, on me demandait ce que l’intelligence artificielle allait changer en enseignement professionnel, j’ai répondu que nous serons forcés de développer l’intelligence professionnelle de nos apprenants à un niveau plus élevé. Nous manifesterons toujours notre intelligence de manière plus efficace que les machines, quoi qu’en dise certains.

La solution la plus intelligente est celle qui est trouvée avec les moyens les plus simples, c’est-à-dire les moyens cognitifs les moins dispendieux.

Compétences, compétence et « La » compétence professionnelle

Un commentaire

Le concept de compétence est utilisé largement pour exprimer une grande variété de significations. Des éclaircissements s’imposent. 

Une personne peut être compétente, mais pas un camion ou un estomac. Pour le camion et l’estomac, ce sont des affirmations que j’ai entendu dernièrement par un médecin qui indiquait que l’estomac de son patient était incompétent, ou lors d’une annonce à la télé, que le camion untel était compétent. Selon moi, une fonctionnalité n’est pas synonyme de compétence. Il faut au départ insister sur le fait que la compétence est la manifestation consciente des qualités d’une personne, pas d’une chose. De plus, la manifestation d’une compétence est constatée par les personnes extérieures à celle qui la manifeste. Ce sont les autres qui constatent notre compétence et non nous même. De plus, la compétence professionnelle est nécessairement associée à un contexte professionnel.

En formation professionnelle, on mélange ce concept en le reliant au programme, à la pédagogie ou à la didactique qui le met en œuvre dans les conditions d’apprentissage des apprenant.e.s. Au départ, il faut comprendre que le concept d’approche par compétences est une méthodologie d’élaboration de programme pour remplacer celle par objectifs qui ne correspondaient pas à la réalité des situations de travail.

La pédagogie et la didactique en lien avec les programmes élaborés par compétences sont plutôt inspirées par  » l’approche programme ». Je ne vous ferai pas un cours sur l’approche programme, mais je vais plutôt vous raconter une histoire pour vous faire comprendre la différence entre la mise en œuvre d’un programme par objectifs et d’un programme par compétences. 

C’est une personne qui se promenait près d’un chantier de construction ou l’on érigeait une cathédrale. Il rencontre un premier maçon et lui demanda quel était son travail. Il lui répondit qu’il posait des pierres. Notre personnage rencontre un deuxième maçon auquel il pose la même question, le maçon lui répond, moi je construis un mur. Finalement, il rencontre un troisième maçon et lui pose la même question, ce dernier lui répond qu’il construisait une cathédrale.

Cette histoire illustre le fait que pour manifester sa compétence il ne s’agit pas seulement de réaliser une opération ou de faire une tâche, mais d’en comprendre son rôle et la finalité l’ensemble de l’œuvre. Cette histoire, qui m’a été racontée par Anastassis, un collègue expert du développement des compétences, illustre bien l’idée de l’approche programme. Une compétence est plus grande que la somme de ses parties. Ce n’est pas en posant des pierres que l’on construit une cathédrale. Il faut avoir la cathédrale en tête pour connaître l’importance de la tâche, ou de l’activité que j’ai à réaliser.

Pour commencer à éclairer votre compréhension de ce concept à multiples facettes, en voici quelques nuances pour organiser notre pensée.

Compétence :   Pouvoir d’agir, de réussir et de progresser (acquis et démontré) qui permet de réaliser adéquatement des tâches ou des activités de travail et qui se fonde sur un ensemble organisé de savoirs (connaissances, habiletés de divers domaines, perceptions, attitudes, etc.) (MEQ, 2012)

Compétences générales : Correspondent à des activités de travail ou de vie professionnelle.

Compétences particulières : Correspondent aux activités de travail qui sont propres à la fonction.

« La » compétence professionnelle : Réside dans le savoir combinatoire d’un individu, son aptitude à combiner et à mobiliser des ressources et « les compétences » qu’il produit avec ce savoir combinatoire. La personne compétente est celle qui sait construire des compétences pertinentes pour gérer des situations professionnelles complexes (Le Boterf, 1998).

Compétence transversale :  les compétences transversales correspondent à des savoir-agir fondés sur la mobilisation et l’utilisation efficaces d’un ensemble de ressources. Elles ont toutefois ceci de particulier qu’elles dépassent les frontières des savoirs disciplinaires tout en accentuant leur consolidation et leur réinvestissement dans les situations concrètes de la vie, précisément en raison de leur caractère transversal. (MEQ)

Situer l’apprendre

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Comme enseignant.e, je dois considérer l’apprendre, en formation professionnelle, de manière différente de l’enseignement d’une discipline. En formation générale, la discipline est au cœur de l’enseignement. Pour tenter de donner du sens à l’apprentissage, des mises en situation seront développées pour appliquer les notions à apprendre. 

En formation professionnelle, il est inutile d’avoir ce genre d’approche, car ce n’est pas la discipline qui est à l’origine de l’apprentissage à réaliser, mais la situation de travail. Le défi n’est pas de donner du sens, mais de déduire, à partir de la situation de travail, les savoirs qui y sont liés et qui sont nécessaires à sa compréhension et à sa réalisation. Par la suite il faut concevoir des projets, des événements ou des expériences qui vont permettre à l’apprenant.e de découvrir son ignorance et de fournir l’énergie nécessaire pour apprendre les savoirs manquants.

Il n’y a pas si longtemps, on enseignait la réalisation de pratiques pour apprendre un métier. Par la suite, on a concentré l’enseignement sur les tâches à faire réaliser. Mais, c’est encore insuffisant pour que l’apprenant puisse faire face à l’évolution de sa profession. Maintenant, il faut amener l’apprenant.e à gérer des situations de travail.

Cela veut dire qu’il faut faire vivre, aux apprenant.e.s, des situations de travail qui devront être comprises pour pouvoir être gérées et ainsi favoriser le développement de la compétence professionnelle. La mise en place d’une situation de travail, à ne pas confondre avec une mise en situation théorique, consiste à mettre en scène les apprentissages des savoirs pour que l’apprendre puisse être présent.

Pour pouvoir mettre en scène l’apprendre, en formation professionnelle, encore faut-il comprendre de quoi est composé la situation de travail. Vous pourrez vous référer au schéma de mon dernier article pour associer les définitions suivantes.

La mise en place de situations de travail permettra de faciliter l’apprendre et le développement des habiletés nécessaires à la manifestation de la compétence professionnelle.

Définitions

Activité : Une activité est un ensemble de tâches qui concourent à un résultat précis, concret. FlüCK C., Le Brun C. (1992).

But : Finalité des activités professionnelles.

Connaissance : Ce qui est connu et sélectionné comme contenu à faire apprendre et que l’apprenant doit comprendre et appliquer. Une connaissance peut être issue d’un savoir (information), d’un savoir-faire (pratique) ou d’un savoir-être (comportement).

Circonstances : Les conditions de réalisation sont les modalités et les circonstances qui ont une influence déterminante sur la réalisation d’un travail et font état notamment de l’environnement de travail, des risques pour la santé et la sécurité au travail, de l’équipement, du matériel et des ouvrages de référence utilisés dans l’accomplissement de l’activité.

Comportements : Manière de se conduire, ou d’agir, requise par la profession. Il s’agit d’une manifestation de l’intégration des savoirs, savoir-faire et savoir-être dans un contexte professionnel déterminé pour établir un lien de confiance avec les bénéficiaires de son travail.

Conduite professionnelle : Manière de se comporter à adopter, qui est généralement manifesté dans la situation de travail, permettant d’atteindre le résultat attendu de ses activités professionnelles.

Contexte : Ensemble de circonstances particulières, dans une situation de travail, généralement associé à un événement, qui détermine la façon dont une tâche doit être réalisée.

Enjeux : Ce qui doit être considéré et qui a un impact direct sur le résultat du travail attendu. ( la qualité d’un travail, la relation avec les autres, l’éthique, l’organisation du travail, etc.)

Évènement : Fait professionnel marquant, et signifiant, en rapport avec la situation de travail régulière d’une profession. Ensemble de faits probables obligeant la modification de la pratique de travail anticipée ou effective. Il peut être utilisé dans la formation comme déclencheur du besoin d’anticiper des situations de travail et d’adapter ses pratiques.

Domaine d’activité : Champ couvrant l’ensemble des activités professionnelles du métier.

Habiletés : Qui est fait avec intelligence, avec un sens de l’observation.

Lieux : Les endroits où se déroule le travail.

Instruments : Outils, équipements, mobiliers, appareillages nécessaires pour réaliser les tâches et activités professionnelles.

Personnes : Les individus qui sont en interaction dans la situation de travail.

Pratique : Représente un ensemble ordonné d’opérations (manœuvres, méthodes, techniques, procédures, protocoles ou instructions) motrices et mentales qui permettent de réaliser, en tout ou en partie, une tâche selon une situation en tenant compte des événements et des circonstances qui s’y déroulent tout en assurant l’atteinte du résultat attendu.

Pratique effective : Représente l’adaptation, aux circonstances du contexte réel de travail générer par un événement professionnel, de la pratique prescrite.

Pratique prescrite : Représente un modèle de réalisation d’une pratique. C’est une référence pour comprendre la façon standard de réaliser une tâche.

Qualités professionnelles : Constituées des attitudes et comportements des personnes au travail, des « façons » souhaitables d’agir et d’interagir, vis-à-vis de soi, des autres ou de son travail. 

Savoir agir : S’exprime dans une action ou un enchaînement d’actions, dans un enchaînement de gestes, de comportements, de paroles, dans un contexte et dans un champ de contraintes (la nature des difficultés du public, le cadre de la prise en charge, etc.) et de ressources (moyens humains, financiers, temporels, etc.). Ce savoir agir est une compétence qui révèle la dimension professionnelle d’un métier : face aux aléas et aux événements, face à la complexité des situations, il est demandé au professionnel de savoir mettre en œuvre des conduites et des actes pertinents dans toutes les situations. Guy Le Boterf estime que dans la réalité, la compétence n’existe pas en soi, indépendamment de l’employé qui la porte et dont elle est indissociable. 

Situation de travail : Elle détermine les conditions spécifiques de l’exercice d’une profession. Elle comporte l’ensemble des circonstances à considérer pour la mise en œuvre des compétences nécessaires à l’exercice de la profession (domaine d’activité, but, lieux, acteurs, règles,  temporalité, instruments, tâches, etc.).

Tâches : Les tâches sont les actions qui correspondent aux principales activités de l’exercice de la profession analysée. Une tâche est structurée, autonome et observable. Elle a un début déterminé et une fin précise. Dans l’exercice d’une profession, qu’il s’agisse d’un produit, d’un service ou d’une décision, le résultat d’une tâche doit présenter une utilité particulière et significative. 

Temporalité : Qui existe dans le temps. Elle indique les durées et les moments où se déroulent les activités professionnelles.

Comment on apprend une profession?

Un commentaire

Il y a une phrase de Guy Leboterf qui exprime bien la complexité de faire développer une compétence professionnelle chez une personne «  On ne peut dissocier la compétence de la personne ». Cela fait en sorte que l’on ne peut dissocier «  avoir des compétences »  de «  être compétent » . J’ajouterais qu’en formation professionnelle « on ne peut dissocier la compétence de la personne et de sa situation de travail ».

Si l’on est en accord avec ma dernière affirmation, cela nous amène à comprendre qu’apprendre une profession c’est plus que d’acquérir des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être. Il va de soi qu’à la base les connaissances, les actions et les comportements qui les caractérisent sont intimement associés aux savoirs, mais pas uniquement. À mon avis si l’on base les apprentissages que sur les savoirs on passe à côté de la compétence professionnelle. 

L’apprendre c’est comme en cuisine, la recette ne se limite pas qu’aux ingrédients,  mais également à la préparation. En apprentissage tout n’est pas qu’une question de transmission et d’acquisition. Ce qui équivaut à la préparation d’une recette, pour apprendre, tout est une question de conditions et de situations. Ces conditions et ces situations doivent respecter la nature des savoirs ainsi que la diversité des apprenant.e.s.

On doit penser l’enseignement des savoirs en formation professionnelle au-delà de la théorie et de la pratique. L’enseignement des pratiques, en faisant réaliser des tâches, est insuffisant pour développer la compétence professionnelle d’un individu. Pour placer en perspective ce qu’est une compétence professionnelle, voici une définition que nous propose Le Boterf et qui me convient très bien : 

« La » compétence professionnelle d’un individu réside dans son savoir combinatoire, son aptitude à combiner et à mobiliser des ressources et « les compétences » qu’il produit avec ce savoir combinatoire. La personne compétente est celle qui sait construire des compétences pertinentes pour gérer des situations professionnelles complexes (Le Boterf, 1998).

Le Boterf associe « La » compétence professionnelle à la gestion de situations professionnelles. Cela va dans le sens que je veux donner aux conditions à mettre en place pour permettre à l’apprendre de se manifester. J’en viens même à penser que le savoir doit servir de prétexte à l’apprentissage, mais ils ne constituent plus ce qui est le plus important à apprendre.

Apprendre une profession c’est apprendre à gérer des situations de travail. Ce n’est pas un accident si pour réaliser un programme de formation il faut au départ une analyse de situation de travail. Un programme seul pourrait effectivement limiter l’apprentissage qu’aux savoirs. Malheureusement, c’est ce qui se fait malgré des programmes par compétences.

Les savoirs sont au service de la situation de travail à gérer. Par conséquent pour que l’apprenant désire investir les efforts nécessaires pour apprendre, il doit trouver sa motivation dans la quête que lui propose une situation professionnelle à gérer. Il faut que les conditions pour apprendre que je mettrai en place soient associées aux éléments de la situation de travail pour que l’apprenant puisse comprendre le sens des apprentissages à réaliser et s’y engager.

La réponse à ma question de départ est que la façon d’apprendre une profession c’est de faire en sorte que l’apprenant construise sa compétence autour de situations de travail à gérer plutôt qu’à partir de savoir à acquérir. Le savoir viendra dans un deuxième temps. J’y reviendrai dans une prochaine chronique. 

Pour vous mette l’eau à la bouche, je vous propose un autre schéma, c’est mon dada, qui vous offre une représentation des composantes d’une situation de travail. Je vous en reparlerai plus en détail dans ma prochaine chronique.

Apprentissage ou apprendre

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Les deux termes semblent vouloir signifier la même chose, mais il y a une différence importante.

Anciennement, on écoutait le maître qui nous transmettait ses savoirs. On peut comprendre qu’à une époque où les livres étaient rares, que le papier et les crayons étaient inexistants, pour le commun des mortels, que la transmission d’un savoir et sa mémorisation étaient au cœur de l’enseignement.

Aujourd’hui, avec le numérique, internet et les ChatJPT de ce monde, ah oui, maintenant le papier et les crayons sont accessibles à tous, ce modèle de transmission me semble un peu obsolète. J’utilise ici le terme apprentissage dans le sens d’un savoir à apprendre. Comme enseignant, on fait réaliser des apprentissages, on évalue des apprentissages et l’on organise des apprentissages pour faire acquérir des connaissances ou espérer développer des compétences.

André Giordan était un précurseur de « l’apprendre » comme terme à utiliser et posture à adopter dans l’enseignement. Si l’apprentissage est lié à un savoir, l’apprendre est lié à la personne qui apprend, l’apprenant. Comme il l’indique dans son livre  « Apprendre! », vouloir savoir ne signifie pas avoir envie d’apprendre.

Au XXIe siècle, pour permettre à nos apprenants de faire face à l’avenir, ne vaut-il pas mieux qu’ils apprennent à apprendre plutôt que de simplement acquérir un savoir qui sera obsolète dans peu de temps ou encore dont le volume d’informations est impossible à gérer et que de toute façon l’IA va s’en occuper? Que devons-nous faire?

Cela fait un bon bout de temps que j’entends ce mantra, qu’il faut apprendre à apprendre, mais au-delà de la formule, comment on fait ça en formation professionnelle ? Comment aller au-delà des savoirs ? Comment rendre le savoir au service de l’apprendre et non comme la finalité de l’apprentissage. L’apprentissage est orienté vers le résultat de l’enseignement. L’apprendre est orienté vers l’apprenant et son processus cognitif.

Je vous propose une série de chroniques sur cette réflexion et des outils pour aborder l’enseignement en formation professionnelle d’une autre façon pour être en mesure de faire face à l’avenir. L’apprendre est plus compliqué, mais porteur d’avenir. 

Je vous propose un schéma, vous me connaissez, sans représentation il ne peut y avoir de compréhension. Ce schéma présente les assises de ce qu’il faut considérer, non pas dans nos enseignements, mais dans les conditions qu’il faut mettre en place dans un environnement favorable pour que l’apprendre apparaisse.

Je m’inspire des travaux de mon collègue André Giordan, malheureusement décédé en mai dernier, pour illustrer l’environnement favorable à l’apprendre et les conditions à mettre en place pour développer les compétences de haut niveau de nos apprenants. La compétence professionnelle ne se développe pas dans les savoirs que j’ai acquis, mais à travers les façons dont je les ai appris.

Je terminerai avec une autre citation de Giordan qui introduira ma prochaine chronique, « Comment on apprend une profession » .

« Apprendre dépasse désormais la pure acquisition de connaissances factuelles. C’est l’appropriation de démarches qu’il importe de privilégier. » (Giordan, A. 1998)

Qu’est-ce que ça fait un prof?

Un commentaire

La pénurie d’enseignant.e.s au Québec sera encore plus critique en 2023-2024. Il y aura, dans les classes, des personnes qui vont jouer le rôle de l’enseignant.e sans avoir eu une formation préalable. 

On peut se scandaliser de la situation, mais le fait est là. On peut critiquer le fait de ne pas avoir vu, dans le passé, que cela allait arriver. Cela ne changera rien à la situation. Mais quoi faire pour aider ces personnes à être en mesure de jouer un rôle significatif sans avoir les compétences pour le faire ? 

Cette réflexion semble contradictoire, mais c’est la réalité. 

Il faut, au moins, faire en sorte d’éviter que ces personnes puissent croire que l’on devient enseignant.e en étant dans une classe. On peut aborder les tâches de l’enseignant.e de deux manières. La première, simpliste, est de croire qu’enseigner c’est simplement transmettre des connaissances. La deuxième, plus complexe, est de comprendre qu’il faut créer les conditions pour que les apprenant.e.s puissent apprendre.

Donc, il faut accompagner les personnes en classe à jouer ce rôle. Un.e enseignant.e ne peut rien faire apprendre, il ne peut que créer les conditions pour que cela puisse arriver, car apprendre est le propre de l’apprenant.e et non de l’enseignant.e.

Enseigner c’est complexe lors que l’on veut jouer pleinement son rôle en 2023.

Je veux apporter mon humble contribution pour accompagner les personnes en classe pour les aider à comprendre qu’enseigner c’est plus que la gestion de classe et la gestion des élèves en difficulté.

Voici un tableau qui présente en détail, mais pas de manière exhaustive, ce que fait un enseignant.e.

Suivez mon blogue, je vais vous aider!

Un blogue pour aider les enseignant.e.s en formation professionnelle

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J’ai délaissé mon blogue depuis quelque temps. Je tiens à vous rassurer, je vais reprendre mes activités plus régulièrement à partir du mois de juin. Je vais débuter ma retraite de l’université. Je pourrai ainsi avoir plus de temps pour communiquer avec vous.

Je prends ma retraite de l’université, mais pas de la formation professionnelle, qui est la cause de ma vie professionnelle. Je pense que je peux être encore utile, grâce au numérique. 

J’ai le souci d’aider les personnes enseignantes à relever les défis qui s’annoncent pour faire face à l’avenir. Il y a une nécessité de faire évoluer nos façons d’enseigner pour s’adapter aux différentes façons d’apprendre et élever le niveau d’intelligence professionnelle, et de compétence, de nos apprenant.e.s pour qu’ils et elles puissent s’épanouir dans un monde du travail et une société en pleine mutation.

Le plaisir d’enseigner pour susciter le plaisir d’apprendre, le développement des compétences de haut niveau, l’intégration des savoir-être dans l’enseignement et les apprentissages, le développement de « LA » compétence professionnelle, l’apprentissage collaboratif et les environnements d’apprentissage feront partie de mes prochains sujets.

Je vais également faire une refonte du blogue pour le rendre plus convivial et à jour. Un ménage s’impose pour faire de l’espace pour mes interventions à venir.

Au plaisir de vous retrouver bientôt,

Soyez attentif.

Henri Boudreault

L’enseignement

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Cette vidéo, sur l’enseignement, est inspirée du concept de « multiagenda de préoccupations enchâssées » de la chercheure Domique Bucheton et tiré de son livre « Les gestes professionnels dans la classe » aux éditions ESF.

La situation pédagogique

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