Attitude, savoir-être et conduite au coeur du développement de « La » compétence professionnelle

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Le savoir-être  est un sujet d’actualité, mais hasardeux, que je qualifierai même de périlleux. J’ai indiqué que le savoir-être est d’actualité, car j’entends souvent dire, par les employeurs, que plusieurs personnes sont engagées à partir de leurs compétences techniques et remerciées de leurs services à cause du manque de savoir-être. Le personnel enseignant en formation professionnelle m’indique également que les attitudes des élèves sont souvent inappropriées. Les enseignant.e.s me disent que les élèves qui réussissent n’ont pas toujours les bonnes attitudes. Comment peuvent-ils réussir en sachant que le savoir-être fait partie intégrante de la compétence professionnelle à développer? 

On trouve maintes raisons à cette problématique, mais on semble démunie à pouvoir agir dessus autrement qu’en sélectionnant les bon.ne.s candidat.e.s à la profession.  Il y a un travail à faire pour atténuer cette problématique dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, de la complexité du travail, du développement des compétences et de l’impuissance apparente des intervenants à amener les apprenants à s’approprier les niveaux d’attitudes professionnelles requises. 

L’avancement de l’intelligence artificielle nous oblige à travailler sur le développement de l’intelligence professionnelle et par conséquent sur l’intelligence naturelle des élèves. Nous abordons ainsi le cœur du problème. Plusieurs savoir-être nécessitent un développement plus important et à des niveaux plus élevés d’habiletés cognitives comme la littératie, la résolution problème, le jugement critique, l’adaptation et la création, pour en nommer que quelques-unes. 

On pense souvent, à tort, que les savoir-être sont innés et qu’il n’y a rien à faire, c’est la faute de l’éducation donnée par les parents. Heureusement, ce n’est pas le cas. Les savoir-être sont acquis et ils peuvent évoluer et se transformer. Si l’on consacrait autant d’énergie à concevoir des conditions pour que l’apprenant.e puisse apprendre et manifester les savoir-être que l’on en consacre à les évaluer, il est plus que probable, que l’on aurait de meilleurs résultats.

J’indique aussi que c’est un thème hasardeux, car  il y a des risques à s’aventurer dans l’univers du savoir-être, des attitudes et des comportements. Comme l’objectif des missions du capitaine Kirk, dans la série Start Trek, était  « d’explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d’autres civilisations et, au mépris du danger, avancer vers l’inconnu », c’est un peu similaire à la mise en œuvre des savoir-être dans l’enseignement dont la mission serait « d’explorer de nouvelles pratiques inédites, découvrir de nouvelles motivations, d’autres avenues à l’engagement des apprenant.e.s, et au mépris du statu quo, avancer vers la nouveauté ». 

 Je travaille sur ce thème depuis plus de vingt ans avec des enseignant.e.s, des organismes et des entreprises. J’ai eu l’occasion d’expérimenter plusieurs façons de faire et j’ai une vaste expérience des réalités vécues dans les différents milieux. Mon risque est calculé et je pense être en mesure d’apporter un éclairage original pour aborder la mise en place de conditions favorables à la compréhension, à l’adhésion, à l’engagement, à l’implication et aux manifestations d’une conduite professionnelle en cohérence, par les apprenants.es, aux qualités professionnelles associées à l’identité professionnelle d’une fonction de travail. 

Finalement, j’ai qualifié mon thème de périlleux, car il met en danger des pratiques de formation incompatibles avec le désir de développement des savoir-être visés. J’ai entendu, trop souvent, les commentaires au sujet des élèves selon lesquels ces derniers n’étaient pas autonomes, qu’ils manquaient d’initiative, qu’ils n’étaient pas débrouillards, qu’ils n’étaient pas persévérants, etc. Malheureusement, je n’ai pas été en mesure de repérer, dans les stratégies d’enseignement de ceux qui se plaignaient, des pratiques intentionnelles permettant le développement de ces mêmes savoir-être, au contraire, certaines pratiques allaient à l’encontre de leur manifestation. 

J’utiliserai un terme employé par Patrick Dubéchot, dans son article, très éclairant, «  Savoirs implicites et compétence collective » (1999), de « savoir y faire » pour distinguer l’apport personnel interne lié à l’expérience qu’une personne ajoute au simple savoir-faire. Le « savoir y faire », selon cet auteur, est un savoir empirique issu de l’action, savoir qui ne peut être produit qu’en agissant. Ce sera notre piste pour la mise en œuvre des savoir-être.

L’expression « Tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir » est un bel exemple du phénomène que j’ai constaté à travers mes années d’expérimentation. L’aspect périlleux est la conséquence  de la mise en place des conditions  pour susciter le développement, chez vos apprenants, des savoir-être cohérents à l’identité professionnelle d’une fonction de travail. Vous devrez nécessairement changer la façon d’aborder l’apprentissage, et par conséquent l’enseignement, de ces savoir-être. C’est Einstein qui écrivait que «  La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ».

Pierre Pastré nous propose une piste intéressante pour envisager l’apprentissage du savoir-être en distinguant le « sait faire » du «  peut faire ». Lorsque l’on parle aux apprenants des savoir-être, on se limite à la possibilité qu’ils « sauront faire » au détriment du « pourront faire ».  L’enseignement en formation conventionnelle consiste, trop souvent pour l’enseignant, à transmettre des savoirs, et pour les élèves, à acquérir des savoirs. J’utilise volontairement le concept d’élève, car dans ce contexte il n’est pas un apprenant. Minimalement, cela peut avoir un certain succès pour l’évaluation des savoirs explicites, mais c’est totalement inefficace pour la compréhension et l’application des savoirs implicites

Les savoir-être sont des savoirs implicites qui n’apparaissent que dans l’action en situation. Ne pas confondre ici avec les stages, à ce moment il est trop tard pour que l’apprenant développe une conduite professionnelle appropriée à ses responsabilités. 

J’aurai l’occasion d’y revenir dans les prochaines chroniques. La prémisse qu’il faut comprendre est que l’on n’apprend pas un savoir-être en écoutant un.e enseignant.e nous en parler, comme on n’apprend pas à faire du vélo en écoutant un spécialiste du vélo nous en parler. C’est en créant une situation professionnelle avec des événements professionnels que l’apprenant trouvera, à partir de l’expérience qu’il vivra, les informations et les repères qui lui permettront de constater la pertinence d’agir de telle ou telle façon. Ensuite, ce sera par la réflexivité qu’il en comprendra le sens et sera ainsi en mesure d’en faire le transfert dans d’autres situations.

Pour comprendre les propriétés du savoir-être, je ferais la comparaison avec la physique quantique où les objets physiques peuvent avoir la particularité d’agir à la fois comme une onde et à la fois comme une particule. De la même manière, le savoir-être est un savoir qu’il faut apprendre, et au même moment, un comportement que je dois manifester en situation pour être en mesure de l’apprendre. 

L’objet d’apprentissage, l’événement qui le suscite, les repères qui le caractérisent, la tâche qui le met en action, les circonstances du contexte et les éléments de la situation de travail doivent se vivre en même temps pour faire apparaître le sens et par la suite la réflexivité sur l’action qui fera émerger la compréhension, par l’apprenant du savoir-être. En résumé, l’expérience de l’action située et la réflexivité sont les deux piliers du développement du savoir-être professionnel et par conséquent de l’identité professionnelle de l’apprenant.

Qu’est-ce que je veux apporter de nouveau ?

Ma réponse à cette question est essentiellement didactique, mais en didactique de la formation professionnelle. Je veux vous proposer des idées  qui devraient vous permettre de susciter la présence, la compréhension et le développement des savoir-être professionnels.

Voici comment je désire procéder. À travers mes années d’expérience, j’ai inventorié un bon nombre de ce que l’on pourrait appeler de savoir-être. Une quinzaine ont été choisis systématiquement par des intervenants avec lesquels j’ai travaillé. J’ai regroupé ces savoir-être en trois catégories représentant les dimensions des savoir-être.

Ce sera à partir de cette sélection que je vais aborder mes prochaines chroniques.  Cinq questions seront à la base du traitement de chacun de ces savoir-être, qui ne sont pas des compétences comme certains l’affirment. Le savoir-être contribue à la manifestation d’une compétence professionnelle, mais elle n’est pas une compétence en elle-même. 

Voici les cinq questions qui seront traitées pour chacun des savoir-être :

  1. Quel en est le sens professionnel?
  2. Quelles en sont les manifestations?
  3. Quels sont les événements, les tâches qui en nécessitent la manifestation?
  4. Quelle est la situation professionnelle artificielle qu’il faut mettre en place?
  5. Quelles en seront les incidences dans l’organisation didactique de mon enseignement?

J’ai utilisé plusieurs concepts (en gras) dans mon article qui seront expliqués dans mon prochain article pour que nous puissions nous comprendre. Comme les savoir-être, tout le monde sait de quoi il est question, mais personne n’en a la même compréhension.

Ma prochaine communication s’intitulera « De quoi est-il question?».

Valeurs, éthique, attitudes et savoir-être

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Des valeurs aux attitudes

Pour comprendre ce titre il faut traiter des concepts suivants : l’éthique, les valeurs, les principes, les attitudes, la conduite, l’identité professionnelle, les comportements et le savoir-être.
Mon raisonnement en lien avec le savoir-être s’appuie au départ sur l’activité professionnelle. Je distingue ce qu’une personne doit être dans sa vie de tous les jours et ce qu’elle doit être professionnellement. J’introduis toujours mes présentations en distinguant les attitudes personnelles et les attitudes professionnelles. Je m’occupe exclusivement des attitudes qui doivent être manifestées pour mener à bien les tâches professionnelles, dont une personne a la responsabilité. Comme didacticien en formation professionnelle, ce qui m’intéresse c’est l’objet de formation. Je constate que la grande majorité des tâches qu’une personne exerce, dans son métier, exige la manifestation d’attitudes pour qu’elle puisse répondre aux attentes.
Les attitudes sont la manière d’agir d’une personne en lien avec les circonstances dont elle doit faire face. Toute personne manifeste nécessairement des attitudes. Elles peuvent être adéquates ou inadéquates en rapport avec une situation ou une autre. Lorsqu’une personne se retrouve dans une formation professionnalisante, elle doit apprendre non seulement le savoir et le savoir-faire, mais également le savoir-être, pour être un professionnel qui inspire un lien de confiance entre elle et les bénéficiaires de son travail.
Je me préoccupe donc des attitudes professionnelles. Pour pouvoir faire apprendre ces attitudes, qui constituent le «  être professionnel », je dois déterminer le savoir de ce «  être » pour en établir le savoir-être. On peut « être » sans savoir-être, mais on ne peut apprendre à être sans savoir-être.
Mais de quoi est constitué le savoir sur le « être » pour en établir le savoir-être et ainsi faire en sorte que les apprenants puissent apprendre à manifester les attitudes professionnelles et ainsi réussir les tâches professionnelles dont ils auront la responsabilité.
C’est ici qu’entrent en jeu les concepts d’éthique, de valeurs et de principes. Voici le sens que je donne à ces concepts :
Éthique : Ensemble des règles pour avoir un comportement jugé professionnellement bon.
Valeur : Les qualités d’une profession qui suscite le respect et l’admiration.
Principes : Propositions qui déterminent les bases  d’une activité professionnelle.
Le point de départ pour établir les savoir-être professionnels est d’identifier les qualités nécessaires pour être un professionnel reconnu d’une profession. L’ensemble de ces qualités nous permet d’établir les valeurs sur lesquelles reposeront les règles éthiques qui seront établies et que l’on veut mettre de l’avant et les principes que nous en déduirons. Suite à l’observation des attitudes manifestées par des professionnels exemplaires, il est relativement facile de spécifier cette base.
Lorsque ces trois éléments de base sont établis, nous pouvons en arriver à déduire l’ensemble des comportements caractéristiques des activités professionnelles et ainsi déterminer la conduite à adopter dans telle ou telle circonstance. C’est l’ensemble des conduites qui spécifie l’identité professionnelle d’un professionnel. 
Lorsque, comme didacticien, je dispose des éléments de cette identité professionnelle, je suis en mesure de spécifier explicitement ce qu’est le savoir-être.
Les attitudes s’évaluent à partir des comportements que manifeste une personne. Il est nécessaire d’établir le savoir-être pour faire comprendre que certaines de ces attitudes sont inadéquates lors de la réalisation de tâches professionnelles. Le savoir-être permet de faire apprendre en quoi consistent les attitudes professionnelles adéquates à adopter selon les circonstances.
Le savoir génère la connaissance chez l’apprenant, le savoir-faire génère la capacité ou l’habileté pratique et le savoir-être génère les attitudes professionnelles.

Les attitudes professionnelles

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savoir-etreLa formation professionnelle des travailleurs se concentre généralement sur l’acquisition du savoir et du savoir-faire, mais qu’en est-il du savoir-être? Celui-ci est généralement différent d’une profession à une autre et reflète non seulement la culture de l’entreprise, mais également celle de la profession. Il faut pouvoir tenir compte de cet aspect dans la formation du futur travailleur et lui fournir des repères sur l’aspect identitaire de sa profession. Cette prise en compte faciliterait l’insertion et la persévérance professionnelles du nouveau travailleur tout en atténuant une certaine iniquité entre celui qui est formé dans les milieux de travail et celui qui est formé dans les centres de formation. On ne peut séparer la question du sens des pratiques et les interactions professionnelles. J’aborde ici le concept de compétence professionnelle en lien avec les attitudes dans le sens de White (1959) qui distingue deux catégories de compétences. La première catégorie regroupe les “hard competencies” où les connaissances et les savoir-faire sont indispensables pour l’efficacité du travail et qui s’acquièrent par le biais d’une accumulation d’expériences positives et de réussites personnelles. La deuxième catégorie, que nous associons aux savoir-être professionnels, regroupe les “soft competencies” parmi lesquelles, les conceptions de soi, les traits de personnalités et la motivation et qui permettent de prédire, à capacité de travail égal, le niveau de performance future des individus. Selon Spencer (1993) ces compétences distinguent les individus ayant une performance moyenne de ceux qui ont les performances les plus élevées. De plus, il faut comprendre que la compétence professionnelle, « prend en compte le savoir-être : à l’inverse du poste de travail, la compétence est plus large que le seul savoir ou savoir-faire. Elle mobilise l’intelligence et l’initiative» (Zarifian, 1999, p.15). Dans cette optique où le savoir-être est un élément de la compétence essentiel à son développement, comment amener les enseignants de la formation professionnelle à aborder le savoir-être comme objet d’apprentissage? En tenant compte de ce questionnement j’ai développé le concept de « Code de déontologie professionnelle en formation professionnelle ». Depuis près de douze ans, ce dispositif, a été mis en place dans plus d’une quarantaine de centres de formation professionnelle au Québec.