Lorsque nous parlons de pratiques pédagogiques propres à la formation professionnelle, ou encore plus, de pratiques exemplaires, à partir de quoi pouvons-nous prétendre que ces pratiques aient pu émerger? Désirons-nous consacrer le fait que la grande partie de ces pratiques ont été le fruit de bricolage pédagogique et de démarches empiriques et spontanées? Comment peut-il en être autrement?
Cela fait plus de vingt ans que la réforme en formation professionnelle est apparue. Ce n’est qu’en 2005 que le MELS, après vingt ans, a publié le cadre de référence sur la planification des activités d’apprentissage et d’évaluation. Ce cadre de référence indiquait, pour la première fois, des pistes et des actions pour orienter les pratiques pédagogiques des enseignants.
En 1986, et au cours des années qui ont suivi, il n’y a eu aucune indication, de la part du MELS ou de toute autre source, de l’exercice de pratiques pédagogiques novatrices nous permettant de constater que l’approche par compétences allait être un changement réel devant favoriser l’apprentissage et le développement de cette compétence et non uniquement lié à l’évaluation, aux équipements, aux bâtiments et au financement.
L’approche par compétences en formation professionnelle fut un immense laboratoire. Elle a profité à qui depuis vingt ans? La mise en place de pratiques innovantes ne devrait-elle pas s’inspirer de ce laboratoire exceptionnel? La gestion de classe, la gestion des ateliers, la gestion des modules, la gestion du temps a laissé peu de place à l’innovation et à l’adaptation de pratiques pédagogiques propres au développement des compétences professionnelles. Ceci autant pour l’apprenant que pour l’enseignant.
Après plus de vingt ans d’implantation de l’approche par compétences, vous pouvez demander à un enseignant en quoi consiste, pour lui, le concept de compétence. Il vous dira : « j’essaye des pratiques et j’espère que cela portera fruit ». Autant de profs, autant de définitions. Certains vous diront même qu’il ne faut pas parler de compétence, mais de module et que de toute façon ce qui est important c’est de finir chaque module dans le temps prescrit et de présenter l’élève à l’examen. Qu’il réussisse ou qu’il échoue cela n’est pas grave dans la mesure où il génère du financement, car une chose que les enseignants savent c’est que la passation de l’examen est liée au financement et le financement est lié à leur embauche. Nous sommes loin de l’indication du cadre de référence du MELS où l’on spécifie qu’un enseignant ne doit pas présenter un élève à une épreuve s’il juge qu’il n’est pas prêt.
Nous sommes justifiés de nous questionner sur la finalité des pratiques pédagogiques actuelles. Est-ce que ces pratiques ont pour objet de faire apprendre ou de faire réussir les examens? Est-ce que ces pratiques ont pour objet de favoriser le développement de la compétence professionnelle ou de faire réussir les examens? Est-ce qu’il y a compatibilité entre la réussite des examens et le développement de la compétence professionnelle de l’apprenant? Est-ce que l’enseignant a une représentation fonctionnelle du concept de compétence professionnelle autre que la mémorisation et la répétition de gestes techniques qui sont souvent l’apanage de la réussite de l’examen?
Les réponses que nous apporterons à ces questions nous donneront la lunette avec laquelle les pratiques d’enseignement actuelles sont mises en place. Toutes ces questions sont intimement liées à l’analyse des pratiques pédagogiques.
Les enseignants en formation professionnelle ne sont généralement pas seuls à parler de pédagogie dans leur milieu de travail. Un autre corps d’emploi gravite autour d’eux, les conseillers pédagogiques, dont la fonction, selon Legendre (1993) est d’assurer l’animation pédagogique auprès des enseignants en matière d’innovation pédagogique, d’implantation et d’évaluation des programmes et des méthodes pédagogiques, d’évaluation des apprentissages ainsi que du matériel didactique.
Comme l’enseignant, le conseiller pédagogique accède à sa fonction sans formation particulière. Encore une fois, il apprend son métier en le faisant. Nous nous retrouvons à prétendre que deux corps d’emplois, les enseignants et les conseillers pédagogiques, qui ont appris leur profession généralement sur le tas, auraient une habileté spontanée à s’adapter et à innover en pédagogie et en didactique. Cette prétention frôle la pensée magique. Sans nier qu’il peut exister, de manière anecdotique, des expériences et des pratiques innovantes et prometteuses liées aux attentes des programmes par compétences, encore faut-il les trouver et encore faut-il s’entendre sur ce qu’est l’apprendre et la compétence professionnelle.
La recherche en didactique professionnelle en est à ses premiers pas. Il est clair qu’au moment où nous parlons de pratiques pédagogiques nous devons y associer l’utilisation des instruments didactiques et pédagogiques pendant que la préoccupation est surtout centrée sur les instruments technologiques. Avant de se prononcer sur des pratiques que nous pourrions observer et qui pourraient nous sembler des pratiques exemplaires (best practices), il faudra se positionner sur un paradigme différent de celui de la transmission des savoirs, c’est-à-dire celui de l’appropriation, beaucoup plus près de l’approche par compétences.
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