La situation pédagogique en enseignement général qui est représentée à la figure 1 est l’anticipation des relations d’enseignement. Selon Sauvé (1992) dans Legendre (1993) elle se définit comme étant « une situation contextuelle où se déroulent les processus d’enseignement et d’apprentissage ».
Elle se situe dans un milieu où sont en interaction l’étudiant, « le sujet », le programme « l’objet » et l’enseignant « l’agent ». Les relations que l’on retrouve entre les composantes de la situation pédagogique, c’est-à-dire les relations d’enseignement, d’apprentissage et de didactique explicitent la situation d’enseignement, les activités de formation et la situation didactique. C’est en analysant les liens que fait l’enseignant entre les composantes de la situation pédagogique que nous pourrons en venir à expliciter la situation d’enseignement.
L’instabilité et la transposition de l’objet d’enseignement par l’enseignant en situation d’enseignement et en situation d’apprentissage influencent directement l’atteinte du but de la formation chez le sujet. La situation pédagogique en enseignement professionnel, comme je l’ai déjà mentionné, se différencie de celle de l’enseignement général par l’instabilité et la composition de l’objet d’apprentissage (Fig. : 2).
Les composantes de l’objet d’apprentissage est un signe distinctif de la formation professionnelle. L’enseignant doit constamment adapter les relations d’apprentissage et didactique en se référant à un objet d’apprentissage en constante évolution et mutation.
« La situation de travail est à l’origine des savoirs inscrits dans le programme. Elle trace le portrait le plus complet et le plus actuel de l’exercice d’une profession : il s’agit d’identifier les éléments de la situation de travail les plus utiles à la détermination et à la précision des compétences nécessaires à l’exercice de la profession (responsabilités, rôles, tâches et opérations, habiletés et activités, exigences particulières, etc). Elle vise également à recueillir des suggestions quant à la formation. »
(Dussault ,1988)
La situation d’enseignement est élaborée par l’enseignant en explicitant les activités de formation permettant d’établir les liens entre les relations didactique, d’enseignement et d’apprentissage en partant de l’analyse de l’objet d’apprentissage et de son mode d’appropriation par l’étudiant en classe ou en atelier. Cette relation est plus intimement liée à l’enseignant car, selon Legendre (1983 : 1167), « elle se définit comme étant la planification par l’enseignant pour un sujet autre que lui-même et implique une transmission du savoir ».
Nous pouvons dire que la tâche première de l’enseignant devrait être de construire des situations d’enseignement, à partir de la situation pédagogique. L’organisation des situations d’enseignement fait en sorte que l’enseignant puisse faire apprendre les savoirs du programme d’études et que l’étudiant puisse en faire l’apprentissage. La situation didactique, quant à elle, permet d’optimiser la relation d’apprentissage entre le sujet et l’objet d’apprentissage. C’est elle qui devrait compléter le processus et créer la véritable rencontre de l’étudiant avec les savoirs enseignés.
En formation professionnelle, cette rencontre pourrait se faire sous forme d’une situation de travail (situation didactique) simulant les circonstances et le processus d’un travail donné. L’enseignant doit provoquer des situations de formalisation pour amener l’apprenant à développer sa compétence. La situation de travail est utilisée selon le sens de Astolfi.
« Une situation-problème permet de mettre l’apprenant en situation d’éprouver lui-même l’insuffisance ou le caractère erroné de ses représentations… … celles-là devront permettre de passer d’un niveau de représentation à un autre. Elles comporteront une tâche à réaliser dans des conditions déterminées… »
(Astolfi dans Ruano-Borbalan 1996 : 30)
Le déroulement de la situation de travail ferait en sorte d’amener l’apprenant à utiliser ses connaissances, lui démontrant ainsi leur utilité. Ainsi, l’apprentissage serait plus signifiant pour celui-ci en confrontant ses savoir-faire empiriques à des connaissances formelles. L’apprentissage du savoir en situation concrète et signifiante amènerait l’apprenant à intégrer savoir et savoir-faire, le faisant passer d’une connaissance empirique à une connaissance explicite et finalement à la compétence. Cette opinion diffère quelque peu de celle de Brousseau (1986) qui parle de transposition des savoirs savants en savoirs à enseigner. Ici, les savoirs savants sont remplacés par l’utilisation de savoirs procéduraux et pragmatiques dans les situations de travail et les savoirs à enseigner sont liés au développement de la compétence qui intègre les savoir-faire, les savoir-être et les savoirs selon la définition de Brien.
« Une compétence sera définie comme un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être qui sont activés lors de l’accomplissement d’une tâche donnée. »
( Brien, 1994 : 89)
La figure 3 illustre la problématique de transposition à laquelle l’enseignant doit faire face dans sa relation didactique avec l’objet d’apprentissage. La situation de travail représente la partie apparente et spécifique de l’apprentissage. Elle est plus facilement observable professionnellement, car elle est souvent inspirée de l’expérience même de l’enseignant ou de ce que l’on peut voir de la profession. La situation pédagogique du programme représente les intentions génériques de la fonction de travail qui est élaborée à partir d’un consensus social axé prioritairement sur la fonction de travail. La technique est liée aux procédures de travail qui sont déduites soit de la situation de travail comme telle ou des situations exprimées par le programme. L’apprentissage des façons de faire liées aux situations de travail peut engendrer que des exécutants de procédures, tandis que l’apprentissage des techniques génériques liées à la situation pédagogique devrait générer des constructeurs de pratiques adaptées à la situation de travail.
Cette situation crée une ambiguïté sur l’objet d’apprentissage qui peut créer des préjudices importants au développement de la compétence par l’apprenant. C’est la transposition de la situation pédagogique en situation d’enseignement, en situation didactique et en situation d’apprentissage qui est à la base de la mutation des intentions pédagogiques du programme. L’enseignant devrait donc développer ses activités de formation composant sa situation d’enseignement, à la lumière de la situation pédagogique. Normalement, il devrait y avoir continuité entre, d’une part, les situations pédagogiques définies dans les programmes et, d’autre part, les situations d’enseignement planifiées par l’enseignant puisque les situations pédagogiques sont rédigées de telle sorte qu’elles reflètent, en principe, les attentes du marché du travail et de la société en général. Par contre, ce que je constate relève plutôt de la construction d’activités d’apprentissage tirées directement de la situation de travail que de la situation pédagogique, sans processus explicite.
La planification des situations d’enseignement concrétise en quelque sorte l’interprétation de l’enseignant face aux savoirs à enseigner découlant des situations pédagogiques. Les apprentissages des apprenants dépendront, bien sûr, des objectifs du programme, mais la qualité de ces apprentissages dépendra principalement de la qualité et de la cohérence des situations d’enseignement. Dans la réalité, ces transpositions ne sont pas aussi évidentes. L’enseignant donne plus de prépondérance aux savoir-faire qu’à la situation de travail en construisant les situations d’enseignement qu’à la situation pédagogique du programme. C’est comme si pour cet enseignant, la finalité du savoir-faire était la seule intention pour construire la situation d’apprentissage qui se résumerait alors par une procédure ou une production.
La véritable situation didactique en formation professionnelle devrait faire preuve d’une intention où l’enseignant y aurait traduit les prescriptions du programme ainsi que la finalité de la formation, à savoir, le développement de la compétence de l’apprenant en regard de la fonction de travail visée. La planification de la situation d’enseignement par l’enseignant devrait avoir comme intrant le programme où l’on retrouve les situations pédagogiques et comme extrant la situation didactique associée à la situation de travail avec laquelle l’apprenant devrait mettre en oeuvre ses connaissances pour développer sa compétence.
L’objet d’apprentissage, interprété par l’enseignant, oscille entre les façons de faire, la situation de travail et la situation pédagogique. Or, en formation professionnelle, c’est également la situation de travail qui est à l’origine du programme. Mais ce qui est distinctif, c’est qu’elle provoque un processus d’élaboration de situations pédagogiques défini dans le curriculum du programme. À partir de la situation pédagogique, l’enseignant doit construire ses situations d’enseignement pour finalement produire des situations didactiques qui devraient amener l’apprenant à mettre en oeuvre sa compétence. Cette cohérence se constatera dans la mesure où la situation d’enseignement sera explicite.
Nous pouvons facilement constater qu’une grande quantité de situations d’apprentissage, développées par l’enseignant, sont directement déduites de son seul savoir-faire. Le moyen technique est donc la caractéristique la plus évidente du changement. Il devient, pour cet enseignant, l’objet d’apprentissage principal, pour ne pas dire exclusif, de la construction de la situation d’apprentissage. La compétence de l’enseignant devrait être composée de ses savoirs en pédagogie et de ses savoirs dans sa discipline professionnelle. Ces deux éléments doivent être mis en oeuvre par l’enseignant pour être en mesure de faire développer aux apprenants la compétence visée par le programme d’études. Le fait que leurs situations d’enseignement sont construites généralement sur le tas, de manière empirique, pourrait expliquer également les résistances ou les difficultés qu’éprouvent les enseignants à intégrer de nouveaux programmes ou à s’approprier de nouvelles façons de faire. En effet, celles-ci sont souvent imposées en dehors de leur application, en dehors des références antérieures de l’enseignant qui, rappelons-le, a développé généralement ses compétences de manière empirique en situation de travail. Il est donc difficile de le convaincre d’en adopter de nouvelles. D’ailleurs, selon Canonge et Ducel (1969), « l’un des éléments qui caractérisent le refus du changement est l’empirisme ».
Je me suis inspiré de Brien (1994: 61) pour établir que l’enseignant doit savoir (avoir les connaissances déclaratives), savoir-faire (avoir les connaissances procédurales) et savoir-être (avoir les connaissances dualles), c’est ce que l’on attend de l’enseignant ». Or, il semblerait, d’après ce que je viens d’expliquer, qu’il utilise surtout son savoir-faire (connaissances procédurales) pour construire ses situations d’enseignement. À la longue, cette situation, où l’aspect didactique est absent, amènera le développement, chez le personnel enseignant, d’une façon de faire qui, sans être exprimée de façon formelle, sera une façon de faire implicite de production de situations d’enseignement. Son approche est essentiellement empirique, axée uniquement sur les besoins immédiats exigés par la situation de travail.
« S’il n’a pas de modèle de référence, il est voué aux modèles implicites, non formalisés qu’il a vécus lui-même, ou bien à un bricolage pédagogique plus ou moins heureux. »
(Barth,1998 : 22)
Quant aux changements générés à partir des programmes attendus par le marché du travail et provoqués par la technologie, l’empirisme semble insuffisant, comme le souligne Brousseau, (1986):
« Un milieu sans intentions didactiques est manifestement insuffisant à induire chez l’élève toutes les connaissances culturelles que l’on souhaite qu’il acquière.»
(Brousseau,1986 : 49)
Août 20, 2009 @ 11:47:06
Bonjour M. Boudreault,
Je vous ferez parvenir par courriel un modèle nuancé de la «situation pédagogique» de Legendre à laquelle vous faites référence parce que je ne suis pas capable de la joindre à cet envoi!
Au plaisir,
Luc Lamond
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