Cette demande m’est faite régulièrement. Elle fait partie d’un mythe qui porte à croire qu’il y a une façon de faire idéale qui permet à un professeur de faire face à un problème de façon magique. Selon mon expérience, il n’y a pas de truc en enseignement. Il y a des moments où une façon de faire nous a permis de nous en sortir honorablement à un moment donné. Malheureusement cette façon de faire fonctionnement rarement dans plusieurs circonstances.
Il ne faut pas prendre l’habitude de prendre des raccourcis en éducation, même en formation professionnelle. Les étudiants ne sont pas en formation professionnelle pour apprendre les trucs du prof. À la vitesse où évolue les métiers et les professions, ce serait rendre un très mauvais service aux étudiants que de leur faire apprendre les trucs du métier au détriment de la réflexion, de l’analyse et de l’évaluation de situations de travail pour y adapter les pratique requises.
Je viens de produire un document de références pour les formateurs en entreprises qui s’adresse également aux enseignants qui débutent dans le métier. Cela fait vingt ans que je tente de développer un document de références pour aider à comprendre la complexité associée à la responsabilité de faire apprendre. C’est un peu comme écrire un livre de lecture pour analphabète. Ce document de plus de trois cents pages ne contient aucun truc. Il présente des outils pour comprendre et planifier des formations dont l’objectif est de faire apprendre un contenu à des personnes par l’intermédiaire d’un formateur.
Il y a des trucs seulement pour ceux qui ne savent pas, pour leur éviter de savoir, car ils ne veulent pas savoir. Les ignorants cherchent les trucs et la vérité. La vérité se traduit par les bonnes réponses qu’il faut avoir et les trucs pour éviter de faire l’effort de comprendre et ainsi d’apprendre. Un truc est une chose destinée à trompe les observateurs. Malheureusement, en éducation le truc ne trompe que celui qui s’en sert, les élèves ne sont pas dupes. À tout le moins, le processus d’apprentissage ne peut être dupé.
Malgré tout, lorsque je tente de donner des trucs, les personnes à qui j’en parle ne veulent pas les mettre en application. Un premier truc que je donne aux formateurs et enseignants est que pour augmenter les apprentissages des apprenants il faut que le professeur parle moins. Ils se demandent alors comment ils vont faire pour faire apprendre les notions aux élèves s’ils ne le disent pas.
Un deuxième truc que je tente de donner est de se servir des connaissances des élèves. Ne donner que 20% des savoirs, 80%des savoirs est déjà dans la classe. Il s’agit de les faire émerger et après de les valider, de les compléter, de les infirmer ou d’en ajouter. Là encore, je rencontre beaucoup de sceptiques.
Un troisième truc est de placer les apprenants en action. Au lieu d’organiser un cours autour des notions à faire apprendre, il faut organiser le cours autour des actions à faire réaliser. Placer les apprenants à plus de 60% du temps en action dans un cours. Les formateurs et professeurs me disent qu’ils n’auront plus le temps pour donner leur cours.
Un quatrième truc est d’établir les stratégies de formation autour des caractéristiques des apprenants au lieu de ceux de l’enseignant ou du formateur. C’est ce que l’on appelle l’enseignement différentié. Là encore, on me dit que c’est impossible de s’attarder aux difficultés de chacun et il faut que le prof donne sa matière, c’est à l’élève à s’adapter.
Un cinquième et dernier truc est de se concentrer sur les savoir-être à faire développer. Les savoirs et savoir-faire sont aux services des savoir-être que l’apprenant doit manifester lors de la réalisation de ses tâches en adaptant ses pratiques de travail aux situations et circonstances qu’il rencontrera. Là encore, j’ai un accusé de non-recevoir. Le formateur donne la matière, les élèves écoutent et apprendront plus tard à quoi ça sert dans la vraie vie.
Voilà, ce sont les seuls trucs que je peux donner après trente ans en éducation. Il faut croire que je suis dépassé dans un monde où tout doit être efficace et éphémère et où l’on décide à l’avance de la péremption d’un produit au moment même où il est créé.
J’ai donc décidé de ne pas donner de formation sur mon document de références pour les formateurs et enseignants. J’ai décidé que la formation ne porterait pas sur le document comme tel, car les gens ne comprennent pas à quoi servent les informations qu’il contient. J’ai organisé la formation sur la découverte, par les participants, de ce qu’ils font en formation et des problèmes qui en découlent. C’est seulement après avoir découvert les problèmes qu’ils vivent qu’ils peuvent se rendre compte de la pertinence de ma trousse d’aide à la formation. Ils ont donc découvert leur ignorance pour ainsi avoir accès aux savoirs.
C’est un bon truc, hein !
Nov 05, 2012 @ 12:57:55
Merci pour ce truc 😉
Je reconnais tellement les enseignants que j’accompagne dans vos propos.
À force d’ateliers et de mini-formations – dans lesquelles je m’applique à mettre en oeuvre ce que je leur recommande de faire – le « moins parler » commence à faire du sens pour plusieurs. Tranquillement pas vite, ils comprennent aussi l’importance de s’adapter à leurs élèves; et pour cela il faut apprendre à les connaitre.
Oui ça n’avance pas aussi vite qu’on le souhaiterait, et oui il n’y a pas de recette miracle, mais petit pas par petit pas des changements s’opèrent; c’est du moins ce que j’observe dans mon milieu.
Alors continuons de propager la bonne nouvelle à défaut de trucs!
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Nov 05, 2012 @ 10:26:14
Tellement, mais tellement vrai ce que vous énoncez dans votre billet! J’y fais face de façon régulière dans mon travail! Il n’y a rien de magique en éducation, rien que des stratégies à mettre en place pour faire apprendre! Et c’est vrai… quand les enseignants parleront moins, seront moins centrés sur le contenu à faire apprendre et plus sur les actions liées à l’apprentissage, le «besoin» de recourir inlassablement à des «trucs» s’estompera… par magie!
Andrée R.
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