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C’est bien beau tout cela, mais cela ne se fit pas tout seul. Créer un environnement qui fera en sorte d’amener les élèves à se prendre en mains, de se questionner, de trouver des solutions, de faire des hypothèses, de se confronter, finalement d’apprendre, ne se fait pas par tâtonnement.

J’étais convaincu que pour devenir un bon ébéniste qu’il fallait suivre mes cours. Contrairement à cette affirmation, je donnais des cours sans avoir appris la profession d’enseignant. J’ai fini par comprendre la nuance entre métier et profession. Mon métier était ébéniste, on pratique un métier. Un métier se mesure à la complexité des tâches à accomplir et de l’importance des responsabilités auxquelles il faut faire face. Lorsque j’étais ébéniste mes tâches étaient définies et les imprévus prévisibles. Le bois était du bois et il ne changeait pas de nature, seulement de forme. Mes élèves étaient loin d’être du bois, je ne pouvais pas changer leur forme, il fallait qu’ils se changent eux-mêmes.

Le premier texte que j’ai lu en pédagogie m’avait marqué. Il présentait l’idée que de former ne voulait pas dire de donner sa forme à un apprenant, mais d’amener ce dernier à prendre la sienne. Mes élèves avaient passé dans le système régulier de formation et en avaient été la manifestation de l’échec, car il avait voulu obliger ces personnes à prendre une forme qu’ils ne désiraient pas. Malgré leur état, leur comportement et leur faible estime d’eux-mêmes, j’avais la conviction qu’ils pouvaient apprendre et que je pouvais être la personne qui pouvait leur apprendre quelque chose.

J’ai toujours eu la conviction qu’un élève ne peut apprendre plus que l’enseignant pense qu’il peut apprendre. Durant toutes mes années d’enseignement, j’ai pu constater qu’il ne faut jamais juger un élève sur ce que l’on pense de ses capacités, de sa motivation ou sur ce que l’on pense du fait qu’il soit fait ou non pour le métier. À plusieurs reprises, j’ai eu des élèves qui ne payaient pas de mine à leur arrivée et qui ont réussi leur cours.

La variété des élèves que j’ai eux et la complexité de leur état d’élève m’ont amené à me rendre compte qu’enseigner n’était pas un métier, mais une profession. Ce qui distingue une profession d’un métier, si l’on se base sur la définition de métier que j’ai donnée précédemment, c’est le fait d’avoir des tâches plus complexes et des responsabilités plus importantes. De façon simple je pourrais vous indiquer qu’une tâche complexe ne peut s’apprendre sur le tas. Elle comporte des éléments visibles et des éléments invisibles. Regarder quelqu’un faire de la résolution de problème ne vous amène pas à pouvoir en faire. Vous ne pouvez pas apprendre à enseigner en regardant quelqu’un enseigner. Ce qui rend les tâches complexes c’est que vous travaillez avec des personnes. Vous êtes en interrelation et en interaction avec eux et chacun est différent. Votre responsabilité est de faire en sorte que ces personnes puissent atteindre les buts de la formation dont vous avez la responsabilité en respectant les différences sans être complaisant. Vous êtes responsables, donc en principe imputable, de la qualité de la formation que vous organisez, des apprentissages qui en découlent, de l’intégrité physique et psychologique des personnes en apprentissage et de la réussite de vos élèves. La réussite des élèves ici couvre plus large que la réussite des examens et l’acquisition d’un diplôme. J’ai eu, des élèves qui ont appris qu’ils pouvaient apprendre. À l’école on leur avait affirmé l’inverse ou à tout le moins laissé croire.

Pour être en mesure de faire face à toute la complexité de ma nouvelle profession je me suis inscrit à l’université au bac en orthopédagogie. J’avais la conviction que les problèmes principaux de mes élèves ne relevaient pas de l’andragogie, mais de l’orthopédagogie. Si je voulais qu’il ait un pilote dans l’avion qui savait où il allait et ce qu’il fallait pour s’y rendre, il fallait que je m’instruise et que je devienne autre chose qu’un survivant. Je vous fais grâce de toutes les incongruités que j’ai vécues dans mes cours universitaires à l’époque. J’étais le seul prof en formation professionnelle, tous les autres se destinaient à l’enseignement au primaire. J’étais le seul homme de la classe. J’étais dans la position de mes élèves, j’avais un problème à résoudre et la seule façon de le régler était d’aller à l’école. J’étais loin de mes premières amours, la géographie et de mon métier, l’ébénisterie, mais j’étais de plus en plus proche de ce que j’allais devenir, quelqu’un qui allait faire apprendre, en principe, un enseignant.

À venir : j’en ai un qui fait du trouble