21704098

Au début de mon expérience d’enseignant, je croyais que j’étais le maître à bord et que je pouvais décider de tout. Je pensais que cette position me donnait des privilèges. Ce fut une grave erreur de ma part. Mes étudiants au bac en enseignement professionnel me parlent souvent qu’ils doivent faire preuve d’autorité et de discipline avec les élèves.

Je me réfère toujours à mes débuts d’enseignant dans ma classe. Je vous rappelle que j’étais le plus jeune et le plus petit. À cause de ma prestance, je n’inspirais pas beaucoup, de manière spontanée, la crainte ou la peur chez mes élèves. J’ai dû faire preuve d’imagination à la suite de quelques maladresses. Je pense qu’aujourd’hui, vouloir faire preuve d’autorité et de discipline, c’est faire la démonstration de notre impuissance à faire apprendre.

On ne peut faire développer des compétences dans un cadre d’apprentissage imposé, directif et répressif. Susciter le désir, motiver, intriguer, faire preuve de leadership, donner l’exemple, manifester du respect et être amoureux de son métier d’enseignant sont des conditions plus favorables à un climat propice aux apprentissages.

Je ne savais pas cela à mes débuts. Malgré mon manque d’apparente autorité, moi aussi je croyais qu’un bon prof c’est quelqu’un d’autoritaire qui faisait peur en imposant une discipline de fer. C’est le modèle que j’avais eu au moment où j’étais à l’école. Le prof qui m’a le plus marqué, et qui ressemblait le plus à un prof pour moi à mes débuts, imposait la crainte et la peur.

Sa technique consistait à se choisir un souffre-douleur dans la classe et de s’en servir pour faire peur aux autres. Sa réputation était faite dans l’école. Tout le monde avait peur d’arriver dans son cours et d’être le fameux bouc émissaire. Ce qu’il lui faisait vivre, comme mépris, était effroyable. Personne ne parlait de peur qu’il change de victime. Je me souviens encore, aujourd’hui après 48 ans, de l’expression qu’il utilisait pour stigmatiser sa victime.

Après quelques minutes, au début du cours, il nous observait et repérait sa victime. Au moment, immanquable, où la victime visée faisait un mauvais pas, il arrêtait tout, la fixait et s’exclamait, « FoinFoin est-ce toi qui vient de parler?» la victime devenait blanche et, évidemment, niait, mais son sort était jeté. Il serait sa victime pour la balance de la session. Il l’affublait de l’expression, « FoinFoin, mon hipocampedéléphanteaucamélos!». L’expression me fait encore frissonner. Imaginez la force d’impact qu’un professeur peut avoir, positivement ou négativement, sur un élève. Je ne sais pas se que sont devenues ses victimes après toutes ces années, mais il est certain que leurs années à l’école et leur réussite scolaire ont été fortement teintées de l’influence de ce professeur, que je juge aujourd’hui comme un enseignant incompétent.

Malheureusement, c’est un modèle que j’ai voulu appliquer dans ma classe, au début, pour imposer mon autorité lorsque j’ai eu mes premiers problèmes de gestion de classe. Vous allez me dire que je n’étais pas très brillant, c’est vrai, mais c’était le modèle qui m’est venu en tête à ce moment. Si vous travaillez en profondeur les phénomènes liés à l’évocation vous allez comprendre que les événements vécus, qu’ils soient heureux ou malheureux, sont les plus forts lorsqu’arrive le rappelle en mémoire des informations. Aujourd’hui, dans mes cours, j’ai surtout le goût de faire vivre des événements heureux plutôt que malheureux. Ils ont un plus grand pouvoir d’évocation. Il faut donc avoir du plaisir en apprenant pour être en mesure de se rappeler facilement des informations. À retenir, je vais y revenir dans d’autres rubriques.

À suivre : 2. Le privilège de ne pas en avoir