À partir de mon expérience, j’ai pu identifier six catégories de préalables auxquels devraient répondre les élèves pour participer à une formation professionnelle et auxquels le prof est confronté. J’ai vécu des situations, que je vais vous raconter, qui sont en lien avec chacune de ces catégories. Ils sont constituées des préalables scolaires, fonctionnels, physiques, motivationnels, langagiers et professionnels.
Les préalables scolaires sont les plus simples à identifier et les plus délicats à gérer. J’ai appris que ce n’est pas parce qu’un élève n’a pas de diplôme qu’il n’a pas les connaissances et ce n’est pas parce qu’il a un diplôme qu’il a les connaissances. Quand l’élève présente un diplôme, nous sommes bien obligés de le considérer pour ce qu’il est. Il ne peut être remis en question. Les élèves qui font une demande pour accéder à la formation professionnelle et qui ont en mains leur diplôme ne peuvent être remis en question par rapport à leur choix sauf s’ils n’ont pas le profil professionnel propice à l’exercice de la profession. Comme je disais souvent à mes élèves, il est tout aussi difficile de faire un ébéniste avec un charpentier que l’inverse. Les habiletés à acquérir, la patience à développer, la minutie à appliquer, les savoirs à utiliser, la persévérance et le jugement à manifester ne sont pas en liens avec des diplômes et des préalables, mais plutôt des prédispositions à avoir. L’accès à un métier ou à une profession n’est pas qu’une question de préalables scolaires, mais quand ce préalable est absent ou incomplet qu’est-ce qu’il faut faire pour le compenser? Comme je l‘ai déjà indiqué, un préalable doit être acquis pour que puisse se dérouler convenablement un processus d’apprentissage.
Les préalables fonctionnels sont plus subtils, mais ont une incidence certaine sur le résultat des apprentissages. Comme je l’ai déjà souligné, ce n’est pas le diplôme qui atteste de réels apprentissages. L’enseignement axé sur les examens fait en sorte de passer à côté des buts et des intentions d’un programme. À plus forte raison lorsqu’un programme est réalisé par compétences. Une compétence est plus grande que la somme de ses parties. Lorsque l’on fait réaliser, des examens aux élèves on évalue, la plupart du temps, ce qu’il a mémorisé ou le résultat d’entraînement pour établir son habileté technique. Je n’ai pas encore rencontré de modalité d’évaluation officielle qui permettait réellement d’évaluer la compétence d’un élève. Pour évaluer le niveau de compétence d’un élève, il faudrait que l’on puisse juger de sa capacité à s’adapter à de nouveaux contextes lors de réalisation de tâches professionnelles.
Les préalables fonctionnels comportent deux éléments. Premièrement, est-ce que l’élève est en mesure d’utiliser les connaissances qu’il a acquises?
Deuxièmement, ceux qui ont de l’expérience sont-ils en mesure de comprendre et d’expliquer ce qu’ils font? La fonctionnalité réside dans la capacité d’un individu à utiliser et à transférer ce qu’il possède comme expérience et/ou connaissance.
J’avais développé un petit exercice, pour identifier cet état de fonctionnalité, en début d’année lors du premier cours, que je faisais faire à tous mes élèves pour avoir une idée générale de la fonctionnalité de certaines connaissances. Je remettais aux élèves une feuille blanche avec un stylo, la consigne était de dessiner un meuble. Il va de soi qu’il n’avait pas encore eu de cours de dessin, mais je voulais seulement savoir la représentation qu’ils avaient d’un meuble. Ils allaient consacrer un an de leur vie à suivre un cours d’ébénisterie, ils devaient avoir une représentation, même naïve, des caractéristiques d’un meuble.
À l’époque, je suivais mes premiers cours en orthopédagogie. Je m’étais inspiré d’une activité que l’on faisait faire aux enfants en bas âge en leur demandant de dessiner un bonhomme pour connaître la représentation qu’ils avaient de leur corps. Le résultat n’était pas très scientifique, mais il me permettait d’observer certaines manifestations, qui à la longue, m’indiquaient des problèmes de fonctionnalité des connaissances ou de l’expérience.
L’un de mes élèves m’avait remis sa feuille avec une seule ligne dessus. Je lui ai demandé ce que son dessin représentait. Il m’a indiqué qu’il avait voulu dessiner sa table de travail dans la classe, mais que la feuille était trop petite. Il avait dessiné qu’une partie de la bordure. Un autre me remet sa feuille avec le dessin d’un rectangle. Il m’a indiqué qu’il avait dessiné une commode. J’ai eu un autre cas d’un élève qui avait fait un tout petit dessin au milieu de la page. La forme et la signification de ce dessin étaient presque imperceptibles. Je pouvais observer qu’il avait dessiné plusieurs détails qui étaient enchevêtrés. Je lui ai demandé sa signification. Il m’a indiqué que c’était pourtant évident, il avait dessiné un prie-Dieu. Je vous reparlerai de cet élève un peu plus tard. Son dessin m’avait mis la puce à l’oreille pour que je considère le fait que la construction de ses représentations pouvait diverger de celles que je pouvais attendre.
J’ai toujours fait attention de ne pas prendre ces informations comme étant des indicateurs de difficultés chez mes élèves, c’était un outil pour que je puisse connaître la distance qu’il pouvait y avoir entre mes élèves et moi et ainsi essayé de combler cette distance avec des stratégies et des moyens pour faciliter leurs apprentissages. Je ne désirais pas connaître s’ils avaient des difficultés, je le savais déjà. S’ils avaient été des élèves réguliers, ils n’auraient pas été dans mon cours. Je voulais seulement savoir à quoi m’en tenir pour pouvoir m’adapter et ainsi les aider. La quête du sens est à la base de la fonctionnalité des connaissances.
Avant d’essayer de donner un sens aux nouvelles connaissances d’un élève il faut connaître le sens qu’il a pu donner aux connaissances qu’il est sensé déjà avoir. Dans le fonctionnement du cerveau, je place le sens des connaissances dans le passage de cette connaissance de la mémoire sémantique à la mémoire épisodique. C’est-à-dire entre ce que l’élève mémorise et ce que l’élève est en mesure de faire lui-même avec ce qu’il sait.
Nécessairement, en formation professionnelle, la connaissance qu’un élève acquiert devra passer dans l’action. D’où l’importance de ne pas faire que mémoriser de l’information ou d’entraîner l’élève à atteindre un niveau de performance dans la réalisation des tâches. Dans les deux cas, même si plusieurs pensent que la jonction entre la théorie et la pratique va se faire spontanément, c’est rarement le cas, surtout si nous n’avons pas inséré le savoir-être dans le processus. Ce sont les comportements que l’élève manifeste qui font en sorte d’arrimer l’une à l’autre. L’aspect fonctionnel passe nécessairement par ce que je suis pour utiliser ce que j’ai acquis.
À suivre : Le corps de l’emploi.
Déc 13, 2013 @ 05:19:39
Une piste concernant la représentation et l’évaluation des compétences.
Peut-être pourriez-vous aller voir du côté des référentiels emploi et certification du Ministère chargé de l’Emploi en France (DGEFP). Plus de 280 Titres Professionnels des métiers du batiment, de l’industrie et des Services.
Ci après exemple du ADVF (Assistante de Vie aux Familles).
https://www.banque.di.afpa.fr/EspaceEmployeursCandidatsActeurs/EGPResultat.aspx?ct=00391m05&type=t
En effet, l’analyse du travail (en s’appuyant sur les travaux de Pierre Pastré) est au fondement de ces référentiels. Les critères et les seuils de performance constituent une base des attendus professionnels.
Au formateur de les utiliser dans un cursus de formation à des fins pédagogiques en faisant entrer les apprenants dans une réflexion en les interpellant sur ce qui pourrait constituer « d’après eux » les exigences professionnelles pour évaluer le travail.
Si le contexte de la situation professionnelle dans sa complétude ne peut être présent totalement au moment d’un « examen », il est possible de s’en approcher dans une mise en situation reconstituée en s’appuyant sur les exigences d’évaluation des compétences professionnelles dans un savoir agir combinant et mobilisant toutes les dimensions de la compétence (cf Le Boterf).
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Déc 15, 2013 @ 11:13:48
Je suis en accord avec vos propos. Les auteurs que vous suggérez font partie de mes références. Pour Pastré et Le Boterf le référentiel est la situation de travail en milieu de travail. En ce qui me concerne, c’est de proposer des modèles didactiques aux enseignants pour qu’ils élaborent des situations artificielles de travail permettant de reproduire, dans un milieu de formation formel, des conditions qui permettront cette confrontation entre l’apprenant et le contexte de travail avant qu’il y ait accès. Je pense qu’il est possible de reproduire ces conditions pour des situations d’apprentissage. C’est plus difficile pour des situations d’évaluation. C’est pourquoi je remets beaucoup en question la nécessité d’élaborer de situations d’évaluation formelles pour évaluer une compétence. Apprendre c’est évalué, pourquoi ne pas intégrer l’un à l’autre? C’est ma piste avec l’itinéraire des apprentissages.
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