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Je vais vous raconter une anecdote qui m’a été rapportée, par un professeur en conduite de camions, qui illustre très bien  la nuance entre langue, langage et sens (représentation). Ce professeur enseignait dans le nord du Québec à des étudiants inuits. Il fait faire un exercice de conduite à l’un de ses étudiants sur une route de la région. Tout va bien jusqu’au moment où l’enseignant s’aperçoit qu’il y a un trou important dans la chaussée et que l’étudiant ne semble pas l’avoir repéré. L’enseignant dit à l’étudiant «ATTENTION!», l’étudiant regarda rapidement à sa gauche et il ne put éviter que la roue du camion entre dans le trou et cause des dommages.

L’enseignant était en colère et demanda à l’étudiant pourquoi il n’avait pas porté attention à son avertissement. L’étudiant lui affirma qu’il avait porté attention à son avertissement. Il avait porté attention à ce que pour lui était un élément de danger. Pour l’étudiant, le danger ne pouvait venir que de la menace d’un ours, d’un loup ou  d’un caribou qui charge. Ce type de danger ne se retrouvant pas sur la route, instinctivement il a regardé le champ à sa gauche. L’enseignant a alors compris que l’étudiant n’avait pas la même représentation du concept de danger.

J’ai vécu, à mainte reprise, ce type d’expérience dans différents pays. La conversation sur la température au Sénégal n’est pas un sujet quotidien. En Tunisie, j’ai eu à expliquer qu’au Québec il pouvait faire très froid en hiver et il y avait du soleil. Pour plusieurs s’il faisait froid c’est qu’il n’y avait pas de soleil. J’ai eu à présenter à des Chinois nos pratiques pédagogiques en formation professionnelle au Québec. Ils m’ont demandé la liste des punitions que l’on pouvait infliger à nos professeurs qui n’appliquaient pas les méthodes présentées.

L’hétérogénéité des clientèles à laquelle nous devons faire apprendre fait en sorte que nous devons nécessairement nous préoccuper des représentations qu’ils ont construites dans leur milieu. Ici, il n’est pas question que d’élèves originaires de différents pays, il est aussi question des élèves de souche. Cette situation est propre à la formation professionnelle. Il est immanquable, sans être toujours critique, qu’il peut se produire un choc culturel lorsqu’un élève apprend un métier dont la formation est organisée adéquatement. Un métier est plus que la somme des tâches qu’un individu a à réaliser. Chaque métier est porteur d’une culture qui lui est propre et à laquelle doit être confronté celui qui l’apprend. Cela va au-delà des odeurs, des bruits, de la dangerosité ou de la complexité d’un métier.

Ce phénomène est facile à observer. Il s’agit de se rendre dans une salle de professeurs dans une école primaire ou une école secondaire. Les salles de professeurs regroupent généralement dans un même lieu tous les profs. Dans un centre de formation professionnelle, les salles de professeurs sont regroupées par spécialités et parfois même par sous-spécialités, comme en électromécanique par exemple.

Tout ceci pour vous dire que si vos élèves ne vous comprennent pas cela est plus complexe que la diction, la tonalité ou l’intensité. Allez voir du côté de la langue, du langage et surtout du sens. La culture ce n’est pas seulement en lien avec les arts ou la religion. La culture,e en formation professionnelle, c’est l’ensemble des structure sociales et des manifestations intellectuelles et manuelles qui définissent  un métier  ou une profession selon son contexte par rapport à un autre contexte ou un autre métier ou profession.

La suite : C’est la faute à la machine!