Quelqu’un en mode solution cherche les réponses à ses questions, quelqu’un en mode problème, cherche un coupable pour justifier ses erreurs. Ce que j’avais mis en place, avec toute mon ignorance, était les conditions les plus favorables pour produire des individus en mode problème. Cela a eu pour conséquence, assez souvent, que le coupable était la machine. Si elle était plus grosse, elle ne briserait pas.
J’ignorais, à l’époque, toutes les nuances du concept d’ignorance. Le paradoxe de ce concept fait en sorte que lorsque nous sommes vraiment ignorants nous avons l’impression d’être des experts parce que l’on pense tout connaître. Lorsque nous sommes de vrais experts, c’est à ce moment que nous avons l’impression d’être ignorants. Parce que nous constatons l’écart entre ce que nous savons et ce que nous pourrions savoir. Tout est une question de conscience. L’ignorant qui ne le sait pas, n’est pas conscient de l’être et l’ignorant qui le sait est conscient de l’être. Dans le font, le plus conscient est le moins ignorant, me suivez-vous toujours?
En résumé, j’étais ignorant et je ne le savais pas. Comment devenir connaissant quand on est ignorant? Probablement quand notre prétention de connaissance ne nous amène nulle part ou toujours au même endroit, mais au mauvais endroit.
Comme je l’ai déjà spécifié, lors de ma première année d’enseignement mes élèves ont produit les plus beaux meubles. Ces meubles ont été réalisés pour la direction générale de la commission scolaire qui les utilisait encore au moment de mon départ il y a 10 ans. Tout le monde était d’accord pour dire que j’étais un bon enseignant. J’avais réussi à faire faire des chefs-d’oeuvre à mes élèves. Aujourd’hui, je peux vous dire que j’ai été un bon chef d’atelier et que mes élèves ont été de bons ouvriers, mais je n’ai pas été un bon enseignant. Il n’est pas suffisant de faire son possible pour avoir la compétence de la fonction. J’ai donné les tâches complexes à mes élèves les plus doués et les moins complexes à mes élèves moins talentueux. C’est ce que fait un chef d’atelier et c’est pour cela que l’on m’avait engagé, pour mon expertise professionnelle en ébénisterie.
Par ces réalisations et la façon de les faire réaliser, j’ai plutôt démontré mon incompétence en pédagogie, mais personne n’était en mesure de me le dire. Le borgne est roi au royaume des aveugles. C’est l’apparence de résultat qui comptait. Aujourd’hui, je sais que pour manifester de la compétence il faut plus que le résultat, il faut ajouter la compréhension du processus pour arriver à ce résultat.
Je peux dire, après toutes ces années passées, que cette première année fût un désastre, si on l’analyse sous l’angle de la pédagogie. Les élèves ont appris à faire ce que je leur disais de faire. Ils ont appris à écouter, mais ils n’ont pas appris à prendre des décisions et à être imputables des décisions qu’ils avaient prises. Lorsque le disjoncteur sautait, c’était parce que le courant n’était pas assez fort. Lorsque la chaîne d’entraînement cassait, c’était la machine qui était trop faible. Lorsqu’il y avait des marques de brûlure sur le bois, c’était la machine qui n’était pas assez forte. Personne ne s’interrogeait sur le fait que la coupe était trop épaisse, que la vitesse était trop grande, que les couteaux n’avaient pas été affûtés. Quand on forme des performants, la fin justifie les moyens, peu importe ce qui en coûte. C’est ce que j’ai produit cette année-là. J’ai couru pour ajuster, aligner, corriger, diriger, anticiper, décider et résoudre. En faîte ce fut moi l’apprenant, car j’ai fait ce que les élèves auraient dû faire et je ne savais pas comment enseigner. C’est ce que je me suis concentré à faire la balance de ma carrière, apprendre à enseigner et à faire apprendre.
Malgré que tout le monde m’exprimait leur satisfaction, je ne voulais plus jamais vivre cette année. Étant donné que j’avais déjà réalisé des études universitaires en géographie, les études ne me faisaient pas peur. J’ai décidé d’être ignorant et de devenir plus connaissant pour comprendre.
À suivre : Fais ce que je dis, pas ce que je fais
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