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J’ai déjà eu le mandat d’organiser une formation de qualification pour les travailleurs d’un métier, que je ne nommerai pas, par prudence, pour qu’ils puissent recevoir une carte de compétence pour exercer leur métier.  J’ai organisé ce cours dans l’esprit que je vous ai présenté précédemment. Je me suis préoccupé de ceux qui suivaient le cours et j’ai facilité l’accès au contenu pour qu’ils apprennent quelque chose et par conséquent qu’ils réussissent le cours.

Mon commanditaire devait donner son accord sur la façon dont le cours devait se dérouler. J’avais développé le matériel et le déroulement du cours pour qu’un spécialiste du métier puisse le donner après avoir été lui-même formé.  À la suite de la présentation du matériel et de la stratégie, mon commanditaire était perplexe. Il aurait aimé mieux un bon PowerPoint, un texte à présenter, quelques farces, deux à trois questions à la fin et le tour était joué. Il remettait en question ma préoccupation de tenir compte des participants à la formation. Ils avaient seulement à écouter. Pour se rassurer, il a exigé que je donne moi-même le cours pour vérifier si je croyais en ma méthode et, si j’étais assez fou pour y croire, pourrais-je survivre au cours. J’ai accepté le défi. Il m’a fait les avertissements d’usage et il m’a donné le numéro de téléphone de la police au cas où cela tournerait mal pour moi.

Vous allez vous demander comment j’ai pu faire pour donner un cours sur une matière que je ne maîtrisais pas. Effectivement, je n’avais jamais exercé le métier. Lorsque l’on m’avait donné le mandat de concevoir ce cours, il a été fait en collaboration avec tous les intervenants du milieu. Je n’étais pas l’expert du contenu, mais avec eux j’ai fait en sorte que ce contenu devienne accessible à des apprenants. Mon travail après était de faire en sorte que les participants à la formation se transforment en apprenant. Ce volet faisait partie de mon expertise.

De plus, j’ai fait un constat surprenant après toutes mes années d’expérience. J’ai acquis la conviction que 70% de ce que j’ai à traiter, comme contenu, est déjà présent dans la salle de cours. Il s’agit de le faire émerger et à compléter le 30% qu’il manque. Ce qu’il manque n’est pas obligé de sortir de ma bouche, il peut être accessible sous bien d’autres formes. Le meilleur conseil que je puisse donner à un prof c’est d’arrêter de penser qu’il est le seul porteur du savoir et que le participant à la formation est un ignorant de la matière.

Un bon enseignant est d’abord un expert dans l’apprentissage d’un contenu avant d’être un expert de ce contenu. Ce n’est pas uniquement le contenu qui détermine la façon de le faire apprendre, mais plutôt la connaissance que nous avons de ceux qui vont l’apprendre. Un bon enseignant a appris le contenu à faire apprendre en étant le premier bénéficiaire de la performance didactique des moyens et des stratégies à mettre en place pour que les apprenants puissent s’approprier les objectifs de la formation.

Il est clair qu’il est impossible de produire des ressources et des stratégies de formations si le contenu à faire apprendre n’a pas d’abord été appris par celui qui va le faire apprendre. Le regard de l’enseignant sur ses propres stratégies d’apprentissage devient alors une base pertinente à exploiter pour ses propres apprenants. Il faut prendre le temps de s’observer lors de ses propres apprentissages pour gagner du temps avec les apprentissages de ses propres apprenants.

Pour certains, ma position semble peut-être curieuse, mais j’ai souvent rencontré des enseignants et des formateurs qui n’avaient pas appris ce qu’ils demandaient aux apprenants d’apprendre. Vous avez déjà entendu des enseignants ne pas vouloir utiliser des cahiers d’exercices parce qu’ils n’avaient pas le corrigé. Cette réaction est un bon indicateur qu’il est possible que le prof ne puisse lui même trouver les réponses qu’il exige de ses élèves. Il n’a pas le temps de l’apprendre, mais on gagne beaucoup de temps à savoir de quoi on parle quand on enseigne.

À suivre : Visa le noir, tua le blanc.