Du haut de mes 10 ans, j’ai dit non. Qu’elle s’arrange avec son problème. Aucun de ces servants de messe ne serait venu me dépanner durant la semaine, qu’elle s’arrange!
Je ne me doutais pas que je venais de m’attaquer à l’autorité de mon village. Je devrais payer un lourd tribut à ma contestation. Le retour de flamme s’est produit le lundi matin suivant. J’étais en classe à suivre mon cours de français. Quelqu’un frappa à la porte. La soeur qui donnait le cours ouvrit la porte, c’était la directrice. Notre enseignante fit aller sa claquette pour nous indiquer qu’il fallait se lever et accueillir la directrice.
Bonjour, mère supérieure! C’était son titre distinctif. Je me rappelle encore de son nom de soeur après 50 ans, que je n’indiquerai pas ici. Elle m’a marqué, mais pas nécessairement dans le bon sens.
La claquette s’est fait entendre pour nous indiquer de nous asseoir à nouveau. La claquette était une sorte de castagnettes que la soeur utilisait comme signe pour nous faire obéir à ses directives. Comme par magie, nous savions quoi faire selon le contexte. On peut appeler cela une forme de conditionnement. Et ça marchait.
La soeur supérieure, pénétra dans la classe et ne prit pas de temps à me repérer et à me donner la directive de la suivre. Ce que j’ai fait immédiatement. Je l’ai accompagné au deuxième étage de l’école. C’était l’étage des grands. Ceux qui étaient en 12e année.
Elle cogna à la porte, la porte s’ouvrit et nous sommes entrés. Je ne savais pas encore ce que je faisais là. Je n’avais pas fait le lien avec l’événement du dimanche précédant. La directrice n’avait pas choisi cette classe au hasard. Elle avait choisi cette classe, car ma soeur s’y trouvait. La soeur supérieure voulait être bien certaine que le message serait entendu par toute l’école, la famille et le village.
La supérieure exposa les faits et je fis le lien. Elle me demanda d’avouer ma faute, ce que je n’avais pas le choix de faire. Ce n’était pas tout. Avouer ce n’est que la première étape, il faut une punition et dans mon cas une punition qui devait aller de pair avec la mission de la supérieure, faire ravaler mon orgueil et ainsi me purger de mon péché.
Elle me demanda de me mettre à genoux et de demander pardon pour la faute que j’avais commise. Ce que je n’ai pas eu le choix de faire, même si pour moi il n’y avait pas de faute. À genoux devant une classe de 30 élèves, un enfant de 10 ans demandait pardon à une soeur pour ne pas avoir voulu servir la messe du dimanche. C’est un peu surréaliste, vous me direz, mais c’était une triste réalité d’une époque.
Ce type de comportement, sous l’égide de l’autorité et de la discipline, pouvait générer deux choses. La première était de produire des victimes dociles, ce qui ne fût pas mon cas. La deuxième était de générer la révolte, ce qui fût mon cas. Ce ne fut pas une révolte impulsive et momentanée, mais plutôt réfléchie et stratégique. Ce genre de conflit n’est pas en lien avec le fait d’avoir raison, mais plutôt de vouloir gagner. Cela m’a pris un certain nombre d’années, mais j’ai gagné son respect et elle m’a donné raison, juste avant son départ de la congrégation. On ne se bat pas contre des personnes à qui on ne donne pas de valeur. C’est ce qu’elle m’a dit! Certains vous diront que c’est pour forger le caractère. Il y a vraiment des personnes qui se donnent des rôles qui ne leur appartiennent pas. Comme certains profs que j’ai eus. Le premier rôle d’un prof est de faire apprendre, les autres rôles doivent graviter autour, non pas de l’occulter. J’ai eu peu de profs qui étaient conscients de ce premier rôle.
Je déplore, qu’en formation professionnelle, qu’on mélange le rôle premier de l’enseignant avec celui trop souvent de travailleur social, pour ne pas dire de travailleur de rue, de police, de surveillant, de gardien, etc. Faire apprendre est déjà suffisamment complexe pour ne pas venir perturber ce défi avec d’autres intentions irréalistes, utopistes ou idéologiques.
Le respect s’acquiert par l’exemple, non pas par la peur. Si nous voulons être respectés, il faut que nous respections nos élèves. Le respect ne veut pas dire d’être gentil et amical, mais de donner de la valeur aux personnes et aux idées qu’elles ont. Donner de la valeur c’est d’aller plus loin que de simplement écouter, il faut aller jusqu’à utiliser. Combien de fois avez-vous utilisé les idées de vos élèves pour alimenter vos cours?
Nos élèves ne sont pas nos adversaires, il faut qu’ils deviennent nos alliers dans le combat contre l’ignorance ou l’incompétence, selon le cas.
À suivre : 3. Discipline et autorité …
Juil 11, 2014 @ 07:59:28
Bonjour Henri,
Je suis très attentivement vos écrits car ils sonnent à propos et justes.
Vos trois derniers paragraphes sont absolument criants de réalité (pour ne pas dire de « vérité »).
C’est juste, qu’en formation professionnelle on occulte le rôle premier d' »enseigner », bien que je préfère « accompagner », au détriment d’autres actions.
Et puis, votre question de combien d’entre nous utilisons les idées des formés pour bâtir nos séances, nous assène une belle claque bien placée !
Au plaisir de continuer à vous lire, progresser et contribuer.
Bien à vous,
Gérardin.
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Juin 17, 2014 @ 09:54:40
J’adore cette vision de l’enseignant que vous avez.
sachez que je partage la même.
J’adore consulter votre site et j’adore vous lire.
Je découvre à chaque fois des lectures inspirantes et fort utiles .
Merci de votre générosité!
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