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J’étais le plus jeune, le plus petit de la classe et le prof. Il était évident pour moi que je ne pouvais pas faire les gros bras envers la majorité de mes élèves. Il fallait donc que j’utilise d’autres moyens, au fur et à mesure des mauvaises expériences que j’ai eu à vivre, pour pouvoir survivre. Je reviens donc avec les deux mots clés du début de ma chronique, conformité et quelque chose, pour assurer le bien-fondé de mes consignes et directives.

Je n’avais pas de programme autre qu’une monographie de cours et une fiche qui m’indiquait que mes élèves devaient être en mesure de lever cinquante livres et qu’ils devaient aimer manipuler des choses. La question se posait alors sur la conformité. Les informations dont je disposais étaient nettement trop fragmentaires pour être la base de référence pour quelque chose et encore moins pour valider une conformité. Mais je ne savais pas cela à mes débuts. À ce moment, pour moi, un programme c’était un contenu incompréhensible  réalisé par un intellectuel qui ne semblait pas connaître le métier que MOI je connaissais.

Lorsque j’ai demandé à mes élèves de prendre leur crayon et leur cahier pour prendre des notes, je n’avais pas fait le lien que ces élèves n’affectionnaient pas particulièrement l’écriture. L’écriture pour eux n’était pas un moyen pour apprendre et la lecture encore moins. Imaginer lorsque j’ai demandé à mes élèves de se préparer à passer le premier examen. L’un des leaders de la classe, pas nécessairement le plus positif, m’a demandé l’utilité de cet examen.  Je lui ai répondu, de la hauteur de mon ignorance, que c’était pour que je puisse leur attribuer une note.

À l’époque, je pensais que c’était l’utilité des examens, de donner des notes, et ainsi pouvoir passer et avoir un papier (diplôme). Je pense que pour plusieurs c’est encore le cas aujourd’hui. Pour moi, à l’époque, avoir une bonne note et apprendre c’était la même chose. Aujourd’hui, je vous dirais que je nuancerais beaucoup cette affirmation. Ce n’est pas parce que l’élève à une bonne note qu’il a appris quelque chose et ce n’est pas parce qu’il a une mauvaise note qu’il n’a pas appris. J’ai eu des élèves qui ont eu de très bonnes notes en santé et sécurité et qui se sont malheureusement blessés parce qu’ils n’avaient pas appliqué ce que je pensais qu’ils avaient appris. J’ajouterais que les notes sont le reflet d’une partie seulement de ce qu’il faut apprendre. Si on se limite à ce volet, on passe souvent à côté du programme et du sens de ce qu’il faut faire apprendre. Il ne faut jamais oublier que la performance ne s’intéresse qu’au résultat, la compétence s’intéresse à la compréhension de ce qu’il faut faire pour atteindre le résultat.

Le danger de l’évaluation c’est qu’elle devienne l’objet d’apprentissage. À cause de son aspect morcelé,  elle amène l’apprenant à percevoir ses apprentissages comme un ensemble de petits morceaux à mémoriser en excluant l’aspect sémantique de ce qu’il a apprendre. Même si l’on analyse le papier, l’encre, la texture, la couleur, le poids, la quantité de pages et la composition d’un livre dans ses moindres détails cela ne vous permettra jamais de comprendre ce que l’auteur a voulu dire dans son texte. Le danger d’une formation axer sur l’évaluation c’est d’axer les apprentissages que sur les données et les faits au détriment du sens.

Pour mes élèves, un examen était une occasion d’échec. Ces échecs signifiaient le retrait du cours. Le retrait du cours signifiait un arrêt des prestations, donc plus de pain et de beurre. J’étais dans le trouble. De toute évidence, il y avait un écart dramatique entre mes intérêts et ceux de mes élèves. D’où l’écart du bien-fondé, d’où la contestation. Ils ont donc refusé de faire mon examen.

J’ai changé de stratégie, ou de vocabulaire. Il ne fallait plus que j’appelle cela un examen ou un test. Je vous ai déjà indiqué le gabarit d’une bonne partie de mes élèves. J’avais avantage à m’adapter si je voulais survivre. Mais, d’un autre côté, mon intégrité m’interdisait d’être complaisant et de faire réussir par complaisance. Je pouvais mourir pour cela, où à tout le moins manger quelques taloches.

J’ai proposé à mes élèves de réaliser des projets dont la réussite progressive servirait à déterminer les apprentissages réalisés. C’est ce que l’on peut appeler un cheminement critique. N’oubliez pas que je n’avais jamais eu de formation sur la mesure et évaluation ainsi qu’en pédagogie. Je faisais ce que je pouvais, mes choix étaient simples. Je restais pour leur faire apprendre l’ébénisterie ou je partais en les abandonnant. Malheureusement, les principes que l’on m’avait inculqués me portaient à finir ce que j’avais commencé. Mon directeur, à l’époque, m’avait fortement conseillé d’abandonner étant donné le groupe difficile auquel je faisais face.

Je me suis dit qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Je suis resté contre vents et marées.

À suivre : 5. Justice, rigueur et cohérence.