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Le troisième accident fut un peu plus amusant. Ce n’est pas judicieux de qualifier un accident d’amusant, mais parfois, même une situation potentiellement dangereuse peut nous amuser, lorsque le dénouement n’est pas dramatique. Cet accident est arrivé à l’un de mes meilleurs élèves. Il n’a pas été victime de sa témérité, de son insouciance ou de son ignorance, mais de sa vigilance. Certaines machines peuvent faire peur à cause de leur dimension, du bruit qu’elles font ou de leurs parties mobiles impressionnantes, comme des couteaux par exemple. Souvent les machines servent à réaliser de gros travaux avec de grosses pièces de bois. Par contre, d’autres machines, tout en étant imposantes, servent à faire de petits travaux et le danger est parfois insidieux. La scie à ruban en est un bon exemple. Cette machine comme son nom l’indique est munie d’une scie qui est constituée d’un ruban de métal placé à la verticale. Le ruban est appuyé sur deux roues verticales qui tournent et permettent une coupe du haut vers le bas. Ce type de machine permet de faire des coupes délicates en forme de courbes, de volutes, d’arbalètes, etc.

Le travail est minutieux et demande une attention pour faire des découpes précises. Le danger de ce type d’outil est souvent lié à un bruit que fait la lame. Pour faire un ruban, la lame est soudée à ses deux extrémités pour faire une boucle et ainsi pouvoir être insérée autour des deux roues. Ce joint de soudure, à chaque fois qu’il passe dans le guide de la lame, provoque un petit bruit régulier qui à la longue peut avoir pour effet d’hypnotiser son utilisateur, s’il n’est pas vigilant. Le travail à la scie à ruban est souvent long et délicat, avec ce bruit régulier l’utilisateur attrape, selon l’expression, le « fixe », ne se rendant plus compte de ce qui se passe.

C’est ce qui est arrivé à mon élève, il a attrapé le « fixe » et a continué à utiliser la scie dans un état d’automatisme. Il portait heureusement une casquette, sans y penser il s’est approché la tête de l’endroit où il exécutait une coupe délicate et le bout de la casquette a été entaillé par la lame de scie. C’est à ce moment qu’il a réagi en criant et en retirant la pièce de bois. Cela a eu pour effet de tordre la lame et de la casser dans un énorme bruit. Tout le monde a réagi dans l’atelier, mais il y avait eu plus de peur que de mal.

Ce type de situation n’est pas souhaitable et il faut tout faire pour ne pas que cela arrive, mais cela arrive. Il faut alors transformer cet incident en situation didactique pour en tirer le maximum. Dans ces moments, je faisais arrêter le travail de tout le monde et ensemble on analysait la situation pour pouvoir en tirer des leçons et les transposer dans des pratiques pour éviter que cela se reproduise.

La sécurité au travail se retrouve au coeur de la formation et de la pratique de tous les métiers. On pense, généralement à tort, que de bons équipements, de bonnes directives, de bons règlements et une bonne surveillance sont suffisants. Combien de fois j’ai entendu des enseignants me dire qu’aussitôt qu’ils ont le dos tourné les élèves font ce qu’ils veulent et ne respectent pas les règles de sécurité! Il faut toujours les surveiller.

Pourtant, lors d’un accident c’est rarement le patron, l’enseignant ou l’inspecteur qui est blessé, c’est l’individu même qui n’a pas été vigilant ou qui n’a pas eu le souci de se protéger ou de protéger les autres. Le défi en formation ce n’est pas d’obliger les élèves à appliquer les règles de sécurité, mais de faire en sorte qu’il pense sécurité. En mots simples, avant de placer un casque de sécurité sur la tête d’un élève, il faut qu’il l’ait dans sa tête.

C’est pourquoi j’en suis venu à comprendre que la sécurité est un élément clé de la manifestation de la compétence, car elle en implique les mêmes composantes et qu’il lui manque l’élément principal pour qu’un élève soit sécuritaire spontanément. On peut savoir quelque chose sans être capable de faire cette chose. On peut savoir-faire une chose sans avoir tout le savoir sur elle. Mais on ne dit pas avoir de la sécurité, mais d’être sécuritaire. La sécurité, pour qu’elle se manifeste, est une question de savoir-être sécuritaire. Comme la compétence, la sécurité est une question de savoir, de savoir-faire et de savoir-être qui sont intégrés l’un dans l’autre. C’est une belle façon de conjuguer le verbe avoir avec le verbe être.

La suite : Je ne peux pas avoir  vécu cela pour rien!