J’étais au poste de travail d’un de mes élèves à lui expliquer une procédure. J’ai un autre élève qui vient près de nous. Il attend quelques instants et repart. J’entends un bruit bizarre et je vois un bout de bois atterrir près de moi. Je me rends rapidement près de la source du bruit. L’élève avait le visage blanc et le regard fixe. Je lui demande ce qu’il a fait, il me dit qu’il avait besoin d’une petite pièce de bois de trois centimètres de long et de un centimètre et demie d’épaisseur. Étant donné qu’il avait constaté qu’il était impossible d’amincir la pièce dans la planeuse (raboteuse d’épaisseur), il avait décidé d’utiliser la corroyeuse (raboteuse de surface) même si l’espace entre les tables était plus large que la longueur de sa pièce de bois. Je lui indique qu’à aucun moment je ne lui avais indiqué que cet outil devait être utilisé sur des pièces de bois aussi petites. Il me dit qu’il avait le sentiment que c’était dangereux et qu’il avait peur de se blesser. C’était pour cette raison qu’il était venu près de moi pour me demander des informations. Étant donné que j’étais occupé et que je ne lui avais pas dit de ne pas le faire, il avait tenté sa chance tout de même.
J’ai constaté à ce moment que si l’on ne forme pas un élève à réfléchir aux circonstances d’une tâche à réaliser qu’il tentera toujours sa chance. C’est le résultat de la formation sur le tas. Le tâtonnement et l’essai et erreur sont à l’honneur. L’ultime danger de ce type d’approche est qu’une personne qui a été formée de cette façon, pour ne pas dire déformé, aura toujours le sentiment qu’elle est capable, même si elle n’a jamais fait cela, ou même si elle a déjà fait, elle va s’essayer malgré que le contexte soit différent. Le mantra de ce type d’apprenant est que la fin justifie le moyen. Ce qui est totalement faux dans un contexte d’apprentissage, comme partout, d’ailleurs.
Si vous formez un élève à réfléchir, au lieu de seulement mémoriser, il sera toujours en sécurité. Il ne fera rien sans comprendre ce qui se passe et ce qui va se passer. Les formations à la santé et à la sécurité au travail sont souvent des exemples qu’une formation axée sur la mémorisation de règles et une surveillance à leur respect ne mènent nulle part. Il est parfois plus complexe de travailler sans se blesser que de réaliser la tâche comme telle. C’est l’erreur qui est faite lorsque l’on nomme certains métiers de faibles complexités. Ceux qui les exercent ont tendance à se blesser plus souvent, car on leur enseigne à exécuter des tâches plutôt qu’à comprendre le travail à faire. Il n’existe pas de métier à faible complexité. Ce sera toujours complexe de travailler sans se blesser. L’erreur qui est faite est de penser que la complexité d’un métier tient au fait qu’il demande plus de connaissances technologiques. On oublie alors que la complexité peut résider dans le contexte où ce métier est réalisé.
Prenons par exemple la conduite automobile. En réalité, conduire une auto n’est pas l’affaire que de manœuvrer un véhicule en apprenant des procédures et des méthodes de conduite. Il faut apprendre à gérer des situations de conduite et ces situations sont dynamiques. Le conducteur responsable et sécuritaire se doit d’adapter constamment ses pratiques de conduite selon son état, la condition de son véhicule et l’environnement de conduite. La complexité réside dans la gestion des incidences de l’environnement de conduite sur sa conduite. Cet environnement est constitué des conditions météo, de l’état de la route, du type de route, des autres usagers de la route, de la géographie, de la signalisation, etc. Finalement pour être un conducteur sécuritaire il faut avoir du jugement critique. Pour avoir du jugement critique, il ne faut pas être formé par un moniteur qui vous pratique à passer l’examen de conduite. Vous serez d’accord avec moi qu’il n’est pas certain que tous les conducteurs aient le jugement nécessaire pour conduire et pourtant…
À suivre … 2. Les écrits restent
Votre commentaire