J’ai eu un élève, durant les périodes de questions, qui s’est mis à jouer avec moi. Il me questionnait sur des éléments d’ébénisterie qui n’avaient généralement pas rapport avec le cours. Il cherchait seulement à me mettre à l’épreuve. Il espérait me poser une question à laquelle je n’aurais pas de réponse et ainsi faire la démonstration, selon lui, que je n’étais pas un bon prof parce que je ne connaissais pas tout. Sans le savoir, je me suis laissé entraîner dans son jeu. J’étais chanceux, à l’époque Internet n’existait pas, le nombre de livres en ébénisterie était limité et les revues se limitaient à deux. Je réussissais à répondre à ces questions. Je me suis rendu compte que mes réponses n’avaient pas d’importance pour lui, ce n’était qu’une mise à l’épreuve et du temps perdu qui commençait à exaspérer un bon nombre d’élèves.
Inévitablement, il est arrivé un moment où je ne connaissais pas la réponse. C’est alors qu’il me demanda comment je pouvais leur montrer le métier si je ne savais pas tout. C’est alors que je lui ai dit que mon expertise ne reposait pas nécessairement sur le fait que je connaissais tout, mais sur le fait que je savais où aller chercher l’information au moment où j’en avais besoin. Cette réponse m’était venue suite à mes études en géographie. Lorsque les gens savaient que j’étudiais en géographie, ils s’amusaient à me demander les capitales des pays. Évidemment, je ne les connaissais pas tous, ils me laissaient entendre que j’avais encore beaucoup à apprendre. Ma répartie était que l’on ne me montrait pas les capitales des pays, mais que lorsque je cherchais une capitale il existait des atlas. On m’a montré à chercher dans un atlas.
Je me suis servi de cela avec mon élève. Je ne me suis pas laissé abattre par son commentaire. Au contraire, je lui ai dit que sa question était intéressante et que je désirais en savoir plus. Je lui ai alors demandé de préparer une petite présentation de dix minutes pour le lendemain pour me faire bénéficier, ainsi qu’à ses collègues, de ce nouveau savoir. Au lieu de le faire taire, je lui ai donné la parole. Cela a eu pour conséquence que le lendemain nous avons eu droit à une petite présentation intéressante et que cet étudiant a arrêtée de jouer son petit jeu avec moi. Il ne s’agissait pas ici de le ridiculiser, mais de lui faire apprendre qu’il fallait assumer ses prises de position. J’ai généralisé, encadré et favorisé ce type de présentation. Les vendredis matin, c’était le moment des découvertes. Les élèves réservaient leur droit de parole, préparaient un contenu et en faisaient les présentations aux collègues pour des discussions en groupe.
Le capitaine d’un bateau ne peut contrôler l’océan qui l’entoure, il peut contrôler que son bateau avec les manoeuvres qu’il réalisera en considérant les éléments de son environnement. De la même manière, on ne peut contrôler chacun des élèves de sa classe, mais on peut contrôler l’environnement d’apprentissage, ses actions et ses interactions selon ce qui se passe et en lien avec le but à atteindre, c’est-à-dire le développement des compétences professionnelles des élèves. Il est préférable que le milieu de formation soit un endroit où le se questionne que simplement un endroit où il y seulement des réponses.
À suivre : Ils n’ont pas les préalables
Déc 13, 2013 @ 05:59:29
Je suis passionnée par ce beau carnet de route, cependant depuis un moment, je me dis que la question du « contrôle sur » révèle la place que l’on permet d’occuper à l’apprenant et de la place qu’occupe l’enseignant.
En ce sens la démarche pédagogique en dit long sur la question de l’autorité, de ce qui fait autorité et du contrôle.
Peut être sera-t-il nécessaire de s’interroger sur le rôle attendu de chacun.
– d’un coté : Enseignant ? Formateur ? Accompagnateur des apprentissages ?
– de l’autre : Elève ? Formé ? Apprenant ?
et de la démarche pédagogique cohérente (induisant l’attribution de rôles par les activités des uns et des autres)
En guise de piste pédagogique pour compléter le billet : « Le maître ignorant » du philosophe Jacques de la Rancière.
J’aimeJ’aime
Déc 15, 2013 @ 11:30:39
Merci pour la référence. Je l’ajoute à la bibliographie de mon site «www.supor.org». Lorsque je parle de contrôle, je vise surtout celui de la situation didactique et non pas de l’apprenant. Les efforts de l’enseignant sont de faire en sorte de faire apprendre l’élève. Lorsqu’un élève apprend, il ne fait pas de problème. Ce n’est pas en le contrôlant que nous arriverons à quelque chose, en ce qui a trait aux apprentissages. Je m’inspire beaucoup de Giordan avec son modèle «Allostérie». Un environnement allostérique conduit l’apprenant à prendre sa forme plutôt que de lui en imposer une. L’environnement allostérique a une intention didactique de permettre à l’apprenant de s’approprier les savoirs nécessaires en créant les conditions qui répondent aux buts de la formation et aux conditions favorables aux apprentissages.
J’aimeJ’aime