Les savoirs du prof

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Pourquoi les milieux de formation professionnelle et technique engagent-ils des spécialistes dans divers métiers et professions plutôt que des pédagogues diplômés? C’est simple, parce qu’un métier ne s’apprend pas dans des livres et ne repose pas que sur des savoirs savants. Malheureusement, beaucoup d’enseignants en formation professionnelle enseignent essentiellement ce qu’il y a dans des livres et des guides d’apprentissage. Ils n’ont pas compris leur rôle unique.

Apprendre une profession ne consiste pas qu’à acquérir des connaissances et à s’entrainer à réaliser des tâches. Si apprendre une profession n’était que ça, il ne serait pas nécessaire d’engager des infirmières pour faire apprendre la profession d’infirmière ou un mécanicien pour apprendre la mécanique. Comme je le dis souvent, faire apprendre une profession est différent de faire apprendre la mathématique, le français ou les sciences. Les références pour ces disciplines se retrouvent dans les savoirs savants que la société trouve nécessaire de faire apprendre et qu’elle spécifie dans des programmes d’études. Le rôle de l’enseignant est généralement de faire apprendre ce que des savants ont écrit dans des livres ou ce qui fait consensus.

En formation professionnelle, les références dans les disciplines sont plus étendues, ont une durée limitée dans le temps, sont organisées selon les situations de travail, ont des sens différents et l’enseignant est porteur d’une partie de ces références. De manière différente, les programmes en formation professionnelle présentent qu’une partie des savoirs à faire apprendre. Les programmes expriment quoi faire apprendre et les conditions pour exercer un métier avec compétence. Ils expriment les contenus sous la forme d’énoncés de compétence, de comportements, de critères, de contextes, de buts et d’intentions. En résumé, les programmes indiquent à l’enseignant quoi faire faire, mais n’indique pas comment faire faire le travail.

La pertinence d’utiliser un expert d’une profession, plutôt qu’un pédagogue, repose dans le fait que l’expert est porteur d’un savoir d’expérience qu’il est le seul à posséder. Ce savoir d’expérience comporte des connaissances explicites, tacites et implicites. Ces connaissances de l’enseignant expert de sa discipline s’ajoutent aux savoirs de son programme.

Il est important de considérer que les enseignants de la formation professionnelle sont les porteurs d’une expertise qui leur est propre et qu’ils doivent exploiter. J’utilise ici le terme de connaissances, car l’expertise disciplinaire de la personne de métier n’est pas automatiquement accessible comme le savoir écrit dans un livre. Il y a un travail à faire d’explicitation qui est souvent mis de côté. L’enseignant doit ajouter aux savoirs des livres ce qu’il sait, ce qu’il sait faire, comment il le fait, comment il gère des situations de travail et comment il se comporte pour mener à bien son travail.

Cette partie de son rôle est rarement mise en évidence et pourtant c’est ce qui fait qu’il est indispensable d’utiliser des professionnels d’expérience pour pouvoir en former d’autres. L’enseignant en formation professionnelle n’est pas en formation que pour transmettre ses connaissances ou sa passion, il est en formation pour faire comprendre, faire faire des liens, donner du sens, créer des contextes professionnels et placer les apprenants dans des situations professionnelles. Il devient alors un exemple et un metteur en scène de son métier pour le faire vivre, car il sait comment vivre dans son métier. Ce n’est que dans ces conditions qu’il est possible de faire développer des compétences professionnelles aux apprenants.

Le défi à relever repose sur l’accompagnement et les instruments qu’un enseignant doit pouvoir avoir accès pour ainsi transformer ses connaissances tacites et implicites en savoirs, contextes, évènements et situations que les apprenants pourront comprendre et gérer.

Des idées pour la rentrée

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Comment tenir compte de l’acquisition des connaissances?

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Lorsque l’on planifie une formation, traditionnellement, l’enseignant pense à la théorie qu’il veut communiquer, aux démonstrations qu’il devra présenter et aux pratiques qu’il voudra faire réaliser. Lorsque l’on pense à la planification d’une formation hybride, il faut penser autrement, en ce qui me concerne cela est également vrai dans des formations en présence, mais c’est un autre sujet. Dans une formation hybride, nous disposons de trois contextes. Le premier contexte est collectif et en présence. Le second contexte est également collectif, mais à distance. Finalement, le troisième contexte est individuel et à distance.

Si nous voulons exploiter au maximum chacun de ces contextes, il faut y associer l’utilisation du savoir qui lui correspond le mieux. Ma posture est qu’au XXIe siècle, l’enseignant n’est plus un transmetteur de connaissances. Sa fonction n’est plus de dire des contenus que les étudiants mémorisent pour être régurgités dans des examens. Le rôle de l’enseignant est d’accompagner les apprenants à construire des liens entre les savoirs pour y trouver du sens. Avec le sens vient la compréhension et avec la compréhension vient l’apprentissage et avec l’apprentissage vient la possibilité d’appliquer le savoir dans la pratique et de transférer les apprentissages réalisés dans un contexte réel.

C’est de cette façon que j’ai construit mon approche de formation hybride. L’organisation des séances de formation se fait en neuf séances en présence et en six séances à distance, pour un total de quinze séances pour un groupe d’une cinquantaine d’étudiants. Mes étudiants doivent avoir accès aux connaissances nécessaires pour pouvoir réaliser les tâches que je leur demande de réaliser. J’ai structuré mon cours en considérant ce qu’ils devaient faire au lieu de ce qu’ils devaient apprendre pour le faire. J’ai voulu également appliquer mon idée qu’il ne faut jamais répondre aux questions qui n’ont pas été posées. Ma stratégie générale consiste à faire en sorte que les étudiants trouvent important de poser des questions à partir des tâches qu’ils devront réaliser et ces tâches orientant les questionnements vers les connaissances nécessaires à apprendre pour atteindre les objectifs de la formation.

J’ai fait en sorte que chacun des contextes soit exploité pour mettre en valeur leurs conditions qui favorisent le mieux les apprentissages que je désire faire réaliser. Le contexte des séances en présence a pour fonction d’aider à comprendre les incidences des tâches à réaliser à distance. Le contexte des séances en présence a pour fonction  d’explorer et d’expérimenter les tâches à faire pour  être conscient de ce que chacun sait et de ce qui lui manque pour pouvoir les réaliser avec compétence. La découverte de ce que l’on ignore est un bon point de départ pour vouloir apprendre pour combler ce manque. C’est dans les séances en présence, à partir des tâches à réaliser, que les étudiants découvrent la pertinence des connaissances à apprendre.

Par la suite, il s’agit de rendre accessibles les connaissances pour que les étudiants y aient accès au moment où ils en auront besoin. Pour accéder à ce savoir, les étudiants disposent de quatre ressources sur internet à partir d’un serveur Moodle. La première ressource se compose d’une série de petits textes pour chacun des thèmes des séances. La deuxième ressource est constituée d’une cinquantaine de capsules vidéos traitant des concepts clés à exploiter dans leurs travaux. La troisième ressource se compose d’ateliers interactifs avec des capsules audios pour aider à comprendre la réalisation des tâches demandées. La quatrième ressource donne accès au langage sous la forme d’un glossaire sémantique des différents concepts à comprendre dans le contexte de la formation professionnelle.

C’est à partir de ces ressources que les étudiants peuvent avoir accès aux connaissances nécessaires pour comprendre et réaliser les tâches demandées. Ces connaissances servent à faire les tâches et instrumentent les étudiants pour qu’ils puissent améliorer leurs interventions lors des séances en présence ou d’échanges à distance.

Lors des séances ensemble à distance, les échanges se font à partir de forums, petite astuce, où ils auront à utiliser le langage et les connaissances acquises sur la didactique en formation professionnelle pour pouvoir communiquer leurs questions et leurs commentaires.

Ensemble en présence, ils explorent et ils découvrent les éléments de la didactique de la formation professionnelle pour pouvoir faire des liens et donner du sens aux connaissances.

Individuellement à distance, ils acquièrent, ils appliquent et ils transfèrent la pratique dans leurs réalités pour pouvoir réaliser les tâches et donner du sens aux connaissances.

Ensemble à distance, ils questionnent, ils résolvent des problèmes pour pouvoir appliquer  leurs  connaissances.

Cette démarche permet l’application de l’approche par compétence qui est composée des phases d’exploration, d’apprentissage, d’application et de transfert.

À suivre… « Comment tenir compte de la réalisation des pratiques ? »

Une formule hybride pour résoudre des problèmes et qui amène des problèmes

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Ce que je veux faire apprendre - HB 2015

L’expérience que je vous présente se déroule avec des groupes d’étudiants à l’université qui suivent une formation de premier cycle pour se qualifier en enseignement de la formation professionnelle. Les étudiants en questions sont des personnes qui travaillent le jour comme enseignant ou dans leur spécialité disciplinaire. Leur disponibilité pour suivre des cours est le soir ou les fins de semaine.

Étant donné que cette formation n’est pas offerte dans toutes les universités, il faut que les étudiants se déplacent, parfois sur de longues distances pouvant aller à plus de 100 km. Nous parlons donc ici de formation universitaire à temps partiel. Les étudiants ont jusqu’à dix ans pour terminer leur formation de 120 crédits. La longueur de la formation, la disponibilité des étudiants, les déplacements avec leurs couts et l’état des étudiants durant la formation m’ont amené à réfléchir à adopter une nouvelle modalité de formation pour atténuer les effets de ces conditions d’études.

L’élément qui me préoccupe le plus est l’état des étudiants au moment de la formation. Lorsque les étudiants ont déjà travaillé toute la journée, ou toute la semaine, cela fait en sorte que la quantité d’énergie disponible au moment des cours, après un déplacement et un repas sur le pouce, est relativement minime. Je me questionnais sur la façon d’organiser la formation pour qu’ils puissent apprendre dans de meilleures conditions.

Je ne voulais pas utiliser uniquement la formation à distance, à tout le moins pour mon cours de didactique de l’apprentissage en atelier. La raison de cette objection c’est que le programme à l’enseignement est par compétences. J’imagine mal faire apprendre une profession à distance qui se réalise en présence. Ce serait un peu comme donner des cours d’alphabétisation à distance. Enseigner demande d’établir une relation de confiance avec l’apprenant autant par la maitrise de sa discipline que par la qualité de la relation avec eux. Ce que je cherchais c’est de conserver une partie de la formation en présence pour des apprentissages particuliers où les interrelations humaines et la construction de liens sont nécessaires, la formation à distance pour d’autres types d’apprentissages qui touchent l’acquisition de connaissances ou le développement d’habiletés. La formule hybride me semblait alors la plus pertinente. Ma principale préoccupation a été, et est toujours,  de ne jamais sacrifier les intentions pédagogiques et le but de la formation à la modalité ou la méthode de formation. Le plus souvent, c’est la pédagogie qui perd le plus avec la formation à distance, ceci au profit du simple objet de formation,

Lorsque j’ai choisi la modalité, je me suis mis à faire l’analyse des objets à faire apprendre et des stratégies de formation qui leur seraient affectées. Je vois plusieurs formations à distance qui ne sont que des reproductions de la formation en présence. C’est comme si on avait pris, lors du passage de la radio à la télévision, les mêmes émissions audios, sans le visuel. Il fallait dès lors que je pense à d’autres façons de présenter les apprentissages à faire réaliser et de présenter les savoirs à apprendre.

J’ai dû également considérer les quatre étapes de l’approche par compétence:

  1. L’exploration des savoirs
  2. L’apprentissage des savoirs
  3. L’application des savoirs
  4. Le transfert des savoirs

Le choix que j’ai fait a été que la partie exploration, une partie de l’apprentissage et de l’application se feront en présence et qu’à distance une partie de l’apprentissage et de l’application des savoirs se ferait ainsi que le transfert.

J’ai considéré les savoirs selon leur mode d’appropriation :

  • Les informations (savoir) devaient être acquises
  • Les pratiques (savoir-faire) devraient être réalisées
  • Les comportements (savoir-être) devraient être manifestés

En considérant ces éléments, je me suis rendu compte que de nouveaux problèmes se présentaient:

  • Comment rendre l’information disponible à distance et dans quel format pour susciter l’intérêt?
  • Comment alterner entre la formation en présence et à distance?
  • Comment m’assurer que le travail à distance se fasse?
  • Comment maintenir une communication constante pour porter assistance?
  • Comment m’assurer que les étudiants auront la discipline pour suivre le cheminement avec succès?
  • Comment rendre utiles les informations qu’ils devront apprendre?
  • Comment intégrer les activités d’apprentissage aux travaux pour la notation?
  • Comment être présent au moment des séances à distance?
  • Comment les rendre plus autonomes par rapport au cheminement de leurs apprentissages?
  • Comment faire pour qu’ils se prennent plus en main?
  • Comment leur donner la perspective du travail à faire?
  • Comment les amener à chercher?
  • Comment exploiter les trois lieux de travail de façon optimale; (à la maison, en salle et sur Moodle)?
  • Comment faire pour qu’ils apprennent plus de choses?
  • Comment faire pour qu’ils soient plus rapides dans leurs apprentissages?
  • Quelles choses nouvelles apprendront-ils avec ce dispositif?

À suivre… « Quelles améliorations pour la relation d’apprentissage ? »

Apprenant ou spectateur ?

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Nous avons été conditionnés depuis notre enfance à faire ce qu’on nous dit de faire, lorsqu’on est en formation. Certains pourraient me dire que cela a changé, mais ce n’est pas ce que je constate dans les différentes formations que je donne. Les participants à une formation sont généralement passifs et attendent de voir ce qui va se passer. Comme m’a déjà indiqué un participant à une formation «… je sais ce qui va se passer, ça va être plate, ça va être long et j’apprendrai rien, c’est une perte de temps ! ».

Lorsque je donne des formations à des formateurs, je les amène à prendre en considération les parties de l’apprenant à considérer lorsqu’ils développent une formation. Les stratégies utilisées durant la formation doivent viser en même temps, la tête de l’apprenant, son cœur et ses mains.

L’apprenant ne doit pas être un spectateur qui observe le formateur, mais l’acteur de ses propres apprentissages. L’action et la compréhension doivent constituer la colonne vertébrale de toute formation.

Organiser une formation c’est faciliter le changement d’un groupe de personnes d’un état A, qui n’est pas satisfaisant, à un état B, qui sera satisfaisant. Pour que les personnes désirent changer, il faut faire plus que de leur dire ce qu’il leur manque, il faut qu’ils puissent s’en rendre compte. Il arrive souvent que les participants à une formation fassent un commentaire du genre « Qu’est-ce que ça donne d’apprendre ça? ». Ce que je nomme le « QCD ».

L’organisation d’une formation doit faire en sorte que les participants n’auront jamais à formuler cette question. En posant cette question, le participant vous dit que cela ne l’intéresse pas, car il n’en voit pas la pertinence et, par conséquent, il ne fera pas les efforts nécessaires pour apprendre. Il est important que le participant à une formation ne pose jamais cette question et qu’il puisse découvrir, grâce aux stratégies du formateur, qu’il a besoin de cette formation et le désir de réaliser les apprentissages. Le besoin et le désir sont les deux carburants qui alimentent l’énergie nécessaire pour réaliser les efforts pour apprendre.

Sans apprentissage, il n’y  a pas de changement, sans changement, il n’y a pas de transfert possible des objectifs d’une formation dans le milieu de travail. Et sans le transfert dans le milieu de travail, la formation est inutile. C’est pour cette raison qu’il faut prendre au sérieux mon affirmation : « Tant qu’à donner de la formation, il serait intéressant que les participants apprennent aussi quelque chose! »

De joyeuses fêtes !

On se retrouve en 2017 avec un nouveau thème : L’environnement de formation.

Ce qu’il faut apprendre

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Lorsqu’on donne une formation, cette dernière se justifie par le fait qu’il y a un manque dans les pratiques réalisées par les personnes qui devront suivre cette formation. Pour combler ce manque, il faut pouvoir faire apprendre les savoirs qui y sont associés pour ainsi améliorer la situation. Comment peut-on faire pour faire apprendre des contenus pertinents aux employés d’une entreprise lorsque 80 % de ce contenu n’est pas, ou peu, accessible?

Les connaissances d’une entreprise, représentées à la figure 1, se divisent généralement en 20 % de connaissances explicites, facilement communicables, et 80 % de connaissances tacites et implicites, difficilement  communicables, car non écrites. Ces connaissances sont généralement dans la tête et les mains de certains employés de l’entreprise, rarement dans les écrits des experts.

Il ne s’agit pas de savoir faire quelque chose pour pouvoir le faire apprendre. Il faut être en mesure d’interpréter, de représenter, d’organiser et d’adapter les informations pour pouvoir les faire apprendre.

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Figure 1 : Les différents types de connaissances de l’entreprise.

Le mode d’apprentissage des informations liées aux connaissances est l’acquisition. Cette acquisition peut se faire soit à partir de documents, de modalités comme l’apprentissage en ligne (e-learning) ou de stratégies favorisant l’intérêt du participant à vouloir les acquérir. C’est ce type de connaissance qui est le plus simple et le moins coûteux à faire apprendre, mais c’est celui qui exige le plus d’astuces à déployer de la part du formateur.

Le mode d’apprentissage de la pratique est l’action. C’est dans l’action que l’on apprend à faire. Ces actions peuvent être mentales ou physiques. C’est le type de connaissance qui est le plus dispendieux à faire apprendre à cause des infrastructures dont il exige la mise en place.

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Figure 2 : Les modes d’apprentissage des savoirs

Le mode d’apprentissage des attitudes se fait par des associations entre les informations, les pratiques et le contexte de travail. C’est la plus recherché des connaissances et la plus complexe à faire apprendre, car elle demande l’acquisition de connaissances, la réalisation de pratiques dans un contexte pour repérer et comprendre les liens entre ce que je sais, ce que je fais et ce que je dois être au moment de le faire.

À suivre … « Apprenant ou spectateur »

Les B.O.R.D. d’une situation d’enseignement/apprentissage

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Le bord

Pratiques d’enseignement à la dérive

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BORD

Lorsqu’un enseignant débute en formation professionnelle, il quitte son métier pour venir, comme ils me le disent souvent, « transmettre sa passion ». Il apprend relativement rapidement que c’est insuffisant. La difficulté n’est pas la transmission, mais l’appropriation par l’apprenant des savoirs nécessaires pour que la passion devienne la sienne.

Le concept de passion suscite chez moi un malaise. Ce mot est utilisé aujourd’hui autant pour exprimer un intérêt envers des fraises, un repas, le cinéma, son auto, des vacances ou des interrelations humaines. Selon le dictionnaire, la passion est un état affectif et intellectuel, violent, puissant qui domine la raison. On n’en est certainement pas là en formation professionnelle. De façon plus pragmatique, des chercheurs ont identifié qu’une chose nous passionne lorsque l’on y pense, ou que l’on s’y consacre,  plus de 8 à 9 fois par semaine. Cette dernière est plus vraisemblable. Entre l’indifférence et la passion, il existe tout de même l’intérêt. Il est plus réaliste de vouloir alimenter l’intérêt des élèves pour l’apprentissage du métier et d’orienter ses pratiques d’enseignement dans ce sens.

Tout cela pour venir à l’idée qu’un enseignant, aussi passionné qu’il puisse être envers sa spécialité disciplinaire, est rapidement aux prises avec des considérations beaucoup plus terre à terre lorsqu’il entre en fonction. Il constate rapidement l’écart entre la relation affective avec son premier métier et la réalité de l’enseignement à laquelle il doit faire face. Cette réalité est composée des obligations du programme, de l’évaluation, de la gestion de classe, des élèves en difficulté, de sa relation avec ses collègues,  des décisions politiques et administratives et de ses compétences insuffisantes en enseignement. De plus, pour combler se manque de compétence il devra suivre une formation dans le but de se qualifier légalement et ainsi espérer qu’il puisse conserver son nouveau travail.

C’est ici que les pratiques d’enseignement partent à la dérive. Il ne fait pas de doute que le nouvel enseignant fait son possible et qu’il utilise toutes ses ressources internes pour mener à bien le travail qu’on lui demande, mais quel travail. Je ne veux pas insister sur l’insuffisance de ses compétences comme enseignant, mais surtout sur le fait que même s’il maîtrisait ces compétences les résultats seraient à peine meilleurs. Lorsque le nouvel enseignant pratiquait le métier, pour lequel on lui demande d’enseigner, l’objet de son travail, la finalité de son métier et la démarche pour l’atteindre lui étaient clairement accessibles. Si elle était infirmière, l’objet de son travail était les soins de santé, la finalité était de soigner les patients et la démarche était établi à partir de protocoles qu’elle devait adapter aux situations. Pour le mécanicien la chose était tout aussi claire, l’objet de son travail était la réparation et l’entretien de véhicules, la finalité était que le véhicule fonctionne et les démarches se retrouvaient dans des méthodes, des techniques, des instructions et des procédures.

Lorsque le nouvel enseignant arrive en formation professionnelle, aucun de ces trois éléments, objet, finalité et démarche, ne lui est présenté comme une vision fonctionnelle, mais plutôt comme des obligations administratives. Comment l’enseignant peut-il comprendre la façon dont il doit réaliser ses pratiques professionnelles lorsqu’il découvrira que la finalité est l’acquisition des compétences d’un programme qu’il ne comprend pas, que la finalité est que l’élève doit réussir les examens qu’il ne sait pas faire et que la démarche est de faire apprendre et cela aussi c’est loin d’être évident. Peut-on se surprendre qu’il y ait dérive? Encore plus surprenant, pourquoi personne ne traite de cette évidence de situation de dérive? Ah oui, il y a la pensée magique et la passion! En formation professionnelle il n’y a pas de problème, il y a que des solutions pour les autres problèmes du système d’éducation.

Je n’ai pas encore rencontré un milieu de formation qui a pu établir le fondement de ses activités, un genre de marque de commerce distinctif, qu’il pourrait exploiter pour susciter la passion de ses enseignants et pour les guider vers le résultat qu’il vise institutionnellement, autre que l’aveu d’échec que constitue la réussite et la persévérance scolaire. Ce fondement devrait être basé sur une représentation concevable de la notion de compétence autrement qu’un programme de formation, de la finalité de la formation professionnelle comme étant la formation d’un futur travailleur compétent autrement que par le taux de diplomation, de la démarche pour faire apprendre autrement que par l’imposition d’une méthode ou d’une modalité de formation.

Pendant que nous cherchons à inventorier des pratiques d’enseignement « innovantes », c’est un autre mot auquel je commence à être allergique, le fondement pour que ces pratiques puissent être pertinentes n’est même pas en place. Cela ne manque pas de provoquer une dérive des pratiques qui n’est pas sans effets sur l’absence d’un patrimoine de pratiques d’enseignement en formation professionnelle malgré plus de cinquante ans de pratiques.

L’enseignant a besoin d’une boussole pour s’y retrouver ainsi que les directions de centres. En l’absence d’un tel instrument je vous en propose un, le « BORD », pour choisir de quel bord vous vous dirigez dans la formation que vous donnez ou que vous gérez. Les points cardinaux de ma boussole sont B, O, R, D. Le « B » pour but, le « O » pour objet de la formation, le « R » pour les ressources nécessaires pour faire apprendre et le « D » pour démarche des pratiques pour faire apprendre. L’ensemble indique au milieu de formation qu’il doit se positionner par rapport à chacun de ces points s’il veut aider les enseignants dans la conception et la réalisation de pratiques optimales. Cette prise de position va aider les enseignants à se diriger dans les pratiques complexes à mettre en oeuvre pour que les élèves apprennent les savoirs de la compétence et ainsi développer leur compétence.

La suite de cet article va essayer d’éclaircir chacun des éléments du BORD pour aider à comprendre comment réorienter la dérive des pratiques d’enseignement à partir d’un tableau de bord de pratiques pertinentes et ainsi en arriver, enfin, à construire un patrimoine de pratiques en enseignement professionnel.

De quel BORD êtes-vous?

À suivre … « Les B.O.R.D. d’une situation d’enseignement/apprentissage »

Un aide-mémoire pour comprendre le savoir-être

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Poster Savoir-être

La compétence : Une expérience vécue

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Au moment d’entrer en fonction en tant que conseiller pédagogique à la formation professionnelle, l’implantation des programmes par compétences faisait son apparition. Cette coïncidence fit en sorte que, pour l’essentiel, mes interventions auprès du personnel enseignant ont porté principalement sur la compréhension et l’application de ces programmes par compétences.

Les premiers programmes par compétences, au Québec, ont vu le jour à la formation professionnelle, dans les commissions scolaires en 1986. Le constat, à ce moment, avait été que la formation professionnelle initiale se prêtait mal à des programmes conçus par objectifs, à tout le moins ceux qui avaient été élaborés à partir de cette approche. Former un mécanicien compétent est plus complexe que de faire apprendre aux élèves, de manière cumulative, des connaissances organisées en un ensemble d’objectifs terminaux, intermédiaires ou généraux. En effet, la structure des objets d’apprentissage, nécessaires aux pratiques professionnelles d’une fonction de travail donnée, s’apparente davantage à un réseau d’interactions entre le savoir, le savoir-faire, le savoir-être et le contexte, comme le propose l’approche par compétences, plutôt qu’à une organisation hiérarchique et séquentielle, comme celle déduite de l’approche par objectifs.

À première vue, le chantier mis en place en 1986 a révolutionné positivement les programmes et l’organisation physique de la formation professionnelle. Par contre, quand on y regarde de plus près, il est beaucoup plus difficile de faire le même constat positif, à partir des réalisations en classe et en atelier, relativement à une pédagogie ou à une didactique spécifiques de l’approche par compétences.

Il faut pouvoir s’assurer que le développement des compétences est effectivement le résultat de la formation. À cette fin, l’on doit être en mesure d’établir la stratégie d’apprentissage qui a permis d’amener les élèves à ce résultat.

Le développement de la compétence d’un élève, par la formation, ne doit pas être le résultat du hasard, mais plutôt d’une stratégie menant à la maîtrise du processus de développement des compétences chez tous les apprenants. N’ayant pu observer l’émergence de modèles pédagogiques efficaces liés au développement des compétences, cela m’a amené, lors de mes interventions dans le milieu, à vouloir en définir un avec les enseignants, à partir de leur réalité. À la suite des travaux réalisés en collaboration avec eux, j’ai réussi à expliciter et à formaliser des instruments, des stratégies et des situations didactiques qui, je crois, favorisent le développement des compétences. Force m’a été de constater, en analysant le travail réalisé avec les enseignants, qu’il est très difficile de développer la compétence de l’élève sans d’abord développer celle de l’enseignant en didactique du développement des compétences. Il faut être en mesure d’expliciter
et de formaliser les éléments de notre compétence si l’on veut pouvoir amener les autres à développer la leur. Cela m’a permis de comprendre que le développement des compétences, chez l’élève, est davantage une question de processus que de produit, d’efficience que de performance, de recherche d’information que d’acquisition de connaissances, d’une maîtrise de la démarche de résolution de problèmes que de réponses aux problèmes, de jugement critique que de recettes. Il faut prendre en considération que l’apprentissage du développement des compétences par l’enseignant doit se faire en lui permettant de résoudre lui-même les problèmes d’apprentissage engendrés par le développement des compétences chez l’élève. Somme toute, j’ai dû apprendre à résoudre les problèmes découlant de l’implantation de l’approche par compétences pour pouvoir apprendre à développer des compétences en didactique du développement des compétences.

La compétence professionnelle devient l’association des quatre composantes que j’ai pu observer, soit dans les programmes ou la réalité, c’est-à-dire le savoir, le savoir-faire, le savoir-être et le contexte. La compétence de l’élève se trouve à l’intersection du savoir, du savoir-être et du savoir-faire placés dans un même contexte. La superposition des savoirs a produit trois autres intersections qui, selon mes observations, correspondent à l’élève connaissant, performant et exécutant. J’entends par élève « performant » qu’il a atteint les objectifs du programme, sans nécessairement avoir intégré le savoir-être du
métier. L’élève exécutant réalise bien les actes professionnels qu’on lui demande d’accomplir, sans nécessairement avoir construit le savoir qui leur est lié. L’élève connaissant est en mesure de bien expliquer les éléments du contexte professionnel, sans nécessairement maîtriser le savoir-faire. Par contre, un élève compétent devrait être en mesure, par lui-même, à partir des connaissances qu’il a construites et d’une problématique professionnelle donnée, d’expliciter le contexte professionnel, de formaliser et d’adapter, selon le cas, les pratiques de travail et d’accomplir les tâches, conformément aux attentes professionnelles exigées par les circonstances ou les événements.

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