Pourquoi les milieux de formation professionnelle et technique engagent-ils des spécialistes dans divers métiers et professions plutôt que des pédagogues diplômés? C’est simple, parce qu’un métier ne s’apprend pas dans des livres et ne repose pas que sur des savoirs savants. Malheureusement, beaucoup d’enseignants en formation professionnelle enseignent essentiellement ce qu’il y a dans des livres et des guides d’apprentissage. Ils n’ont pas compris leur rôle unique.

Apprendre une profession ne consiste pas qu’à acquérir des connaissances et à s’entrainer à réaliser des tâches. Si apprendre une profession n’était que ça, il ne serait pas nécessaire d’engager des infirmières pour faire apprendre la profession d’infirmière ou un mécanicien pour apprendre la mécanique. Comme je le dis souvent, faire apprendre une profession est différent de faire apprendre la mathématique, le français ou les sciences. Les références pour ces disciplines se retrouvent dans les savoirs savants que la société trouve nécessaire de faire apprendre et qu’elle spécifie dans des programmes d’études. Le rôle de l’enseignant est généralement de faire apprendre ce que des savants ont écrit dans des livres ou ce qui fait consensus.

En formation professionnelle, les références dans les disciplines sont plus étendues, ont une durée limitée dans le temps, sont organisées selon les situations de travail, ont des sens différents et l’enseignant est porteur d’une partie de ces références. De manière différente, les programmes en formation professionnelle présentent qu’une partie des savoirs à faire apprendre. Les programmes expriment quoi faire apprendre et les conditions pour exercer un métier avec compétence. Ils expriment les contenus sous la forme d’énoncés de compétence, de comportements, de critères, de contextes, de buts et d’intentions. En résumé, les programmes indiquent à l’enseignant quoi faire faire, mais n’indique pas comment faire faire le travail.

La pertinence d’utiliser un expert d’une profession, plutôt qu’un pédagogue, repose dans le fait que l’expert est porteur d’un savoir d’expérience qu’il est le seul à posséder. Ce savoir d’expérience comporte des connaissances explicites, tacites et implicites. Ces connaissances de l’enseignant expert de sa discipline s’ajoutent aux savoirs de son programme.

Il est important de considérer que les enseignants de la formation professionnelle sont les porteurs d’une expertise qui leur est propre et qu’ils doivent exploiter. J’utilise ici le terme de connaissances, car l’expertise disciplinaire de la personne de métier n’est pas automatiquement accessible comme le savoir écrit dans un livre. Il y a un travail à faire d’explicitation qui est souvent mis de côté. L’enseignant doit ajouter aux savoirs des livres ce qu’il sait, ce qu’il sait faire, comment il le fait, comment il gère des situations de travail et comment il se comporte pour mener à bien son travail.

Cette partie de son rôle est rarement mise en évidence et pourtant c’est ce qui fait qu’il est indispensable d’utiliser des professionnels d’expérience pour pouvoir en former d’autres. L’enseignant en formation professionnelle n’est pas en formation que pour transmettre ses connaissances ou sa passion, il est en formation pour faire comprendre, faire faire des liens, donner du sens, créer des contextes professionnels et placer les apprenants dans des situations professionnelles. Il devient alors un exemple et un metteur en scène de son métier pour le faire vivre, car il sait comment vivre dans son métier. Ce n’est que dans ces conditions qu’il est possible de faire développer des compétences professionnelles aux apprenants.

Le défi à relever repose sur l’accompagnement et les instruments qu’un enseignant doit pouvoir avoir accès pour ainsi transformer ses connaissances tacites et implicites en savoirs, contextes, évènements et situations que les apprenants pourront comprendre et gérer.